VRAI OU FAUX. Budget 2026 : la France risque-t-elle d'être placée sous la tutelle du FMI à cause de sa dette publique ?

Alarmisme ou menace bien réelle ? Alors que la dette publique de la France ne cesse de se creuser, plusieurs membres du gouvernement ont brandi ces derniers mois le spectre d'une possible intervention du Fonds monétaire international (FMI), afin de redresser les finances du pays. Le ministre de l'Economie et des Finances, Eric Lombard, a encore évoqué l'existence de ce "risque", mardi 26 août sur France Inter, avant de modérer ses propos quelques heures plus tard sur X : "Nous ne sommes, aujourd'hui, sous la menace d'aucune intervention, ni du FMI, ni de la BCE [Banque centrale européenne], ni d'aucune organisation internationale", a-t-il assuré, mettant en avant une économie française "solide".

Début juin, Amélie de Montchalin, ministre chargée des Comptes publics, avait tenu des propos plus alarmistes. "Si nous ne faisons pas les bons choix maintenant, ce seront nos créanciers ou le Fonds monétaire international qui nous les imposeront", avait-elle averti dans le JDD. "Il y a un risque de tutelle des institutions internationales, des institutions européennes, de nos créanciers", avait-elle encore alerté sur RTL quelques jours plus tard.

Alors, l'état des finances du pays est-il dégradé au point de nécessiter une intervention du FMI ? Le débat agite les réseaux sociaux, au moment où le Premier ministre, François Bayrou, évoque une "urgence nationale à rééquilibrer les comptes, à échapper au surendettement en choisissant de réduire nos déficits et de produire davantage". Franceinfo fait le point sur la question avec plusieurs économistes.

Le FMI, "prêteur de dernier ressort"

"Ce n'est pas le FMI qui met sous tutelle" un Etat, rappelle auprès de franceinfo François Geerolf, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). "C'est le pays qui, lorsqu'il fait face à des difficultés pour financer son endettement, fait appel au FMI. Celui-ci fait alors office de banque, en échange d'un plan d'ajustement économique", explique-t-il. Autrement dit, lorsque les créanciers habituels d'un pays perdent confiance en sa capacité de remboursement, l'institution endosse le rôle de "prêteur de dernier ressort", selon les termes du ministère de l'Economie.

Depuis les années 1980, le FMI a offert ses services à plusieurs pays en crise : Mexique, Thaïlande, Russie, Brésil, Turquie, Argentine... L'exemple récent le plus connu est sans aucun doute celui de la Grèce. En octobre 2009, le Premier ministre grec, Georges Papandréou, avait annoncé un déficit public de 12,9% du produit intérieur brut (PIB), soit de la richesse produite par le pays, et une dette publique de 115% du PIB. Au bord de la faillite, Athènes a depuis reçu 260 milliards d'euros d'aide de la part de pays de l'UE, de la BCE et du FMI, en contrepartie d'un plan d'austérité drastique : coupes dans les pensions de retraite et dans les salaires des fonctionnaires, vente des ports et des aéroports...

"Pas de menace urgente"

Avec un déficit public de 5,8% du PIB et une dette publique à 113,9% en 2024, la France est-elle aujourd'hui en passe d'emprunter la trajectoire grecque ? La plupart des économistes interrogés par franceinfo s'accordent à dire que non. Même le FMI a écarté l'hypothèse d'une intervention à court terme. "Il n'y a pas de sujet (...) actuellement", a estimé Pierre-Olivier Gourinchas, économiste en chef de l'institution, le 17 juin sur BFM Business. "S'il n'y avait aucune volonté d'infléchir la trajectoire de la dette, évidemment qu'à un moment donné, la question se poserait", a-t-il ajouté.

"Il n'y a pas de menace urgente", abonde François Geerolf, notamment parce que "la France n'a pas vraiment de problème d'endettement extérieur". Autrement dit, elle n'a pas besoin de se financer auprès de pays étrangers. "Les ménages ont une épargne considérable, qui est allée en augmentant. La hausse du taux d'épargne a compensé la hausse du déficit public", fait également valoir l'économiste. 

"La France ne vit pas au-dessus de ses moyens. C'est l'Etat qui vit au-dessus de ses moyens."

François Geerolf, économiste à l'OFCE

à franceinfo

Les finances françaises ne sont donc pas comparables à celles de la Grèce il y a quinze ans, selon l'économiste. "La Grèce souffrait d'un déficit jumeau : un déficit public doublé d'un déficit courant [lorsque le pays importe plus de biens, services et revenus qu'il n'en n'exporte]". Or, en France, après deux années de déficit, le solde du compte courant s'est nettement redressé pour l'année 2024, avec un excédent de 2,7 milliards d'euros, selon un rapport annuel de la Banque de France. Grâce à cet équilibre, "on n'est pas du tout dans le cadre d'action du FMI", estime Olivier Redoulès, économiste et directeur des études à l'institut Rexecode. En résumé, l'Hexagone dispose encore de sa souveraineté économique.

"La France n'a pas de problème pour se financer"

D'ailleurs, l'Etat français inspire toujours la confiance auprès de ses créanciers. "La France n'a pas de problème pour se financer aujourd'hui. Elle ne se finance pas très cher, beaucoup moins cher que dans les années 1980", souligne auprès de franceinfo Michaël Zemmour, économiste et enseignant-chercheur à l'université Lyon 2. Au 28 août, le taux d'emprunt de la France sur dix ans s'élevait à 3,5%, selon le site spécialisé Trading Economics. Un niveau supérieur à celui de l'Allemagne (2,7%), de l'Espagne (3,3%) ou encore de la Grèce (3,4%), mais comparable à celui de l'Italie (3,6%).

Une intervention du FMI "pour 2025, 2026, 2027, c'est fantaisiste. On s'endette pratiquement au taux de l'Italie. Et l'Italie n'est pas sous tutelle du FMI", relève aussi auprès de franceinfo Sylvain Bersinger, économiste et fondateur du cabinet Bersingeco. "On s'endette à des taux qui ne sont pas soutenables sur dix ou vingt ans, mais qui sont tout à fait soutenables sur deux à trois ans", juge-t-il.

La France est aussi à l'abri d'un autre facteur qui pourrait justifier une intervention du FMI : le manque de devises étrangères. En 1982, la dette du Mexique était estimée à 86 milliards de dollars américains, principalement contractée dans cette devise étrangère. Mais ce pays exportateur de pétrole avait vu fondre ses réserves de dollars, après la baisse du cours mondial de l'or noir. Il ne pouvait ni payer ni emprunter. La France, qui emprunte en euros, ne risque pas le défaut de paiement.

Des marchés "inquiets" de l'absence de majorité

Pour autant, Paris ne se trouve pas à l'abri de futures difficultés. "Aujourd'hui, la France peut toujours se financer sur les marchés, mais de plus en plus cher, ce qui creuse son déficit et sa dette", relève l'historienne Laure Quennouëlle-Corre. "Si le cours de l'euro faiblit à cause de la dégradation de la situation financière de la France, alors la BCE pourrait peut-être intervenir plus ou moins discrètement" pour aider l'Etat, anticipe-t-elle.

Le spectre du FMI constitue un "épouvantail" qui masque la "situation d'instabilité politique" française, analyse l'économiste Michaël Zemmour. "Les marchés financiers ne sont pas inquiets parce que la France ne paie pas ses dettes. Elle sait lever l'impôt et c'est un pays riche. Les marchés sont inquiets parce que, depuis 2022, il n'y a pas de majorité politique en France", souligne l'enseignant-chercheur.

"Si on laisse filer le déficit sur des trajectoires qui ne sont pas soutenables, dans cinq, dix, quinze ans, on peut vraiment avoir une situation très grave", anticipe Sylvain Bersinger, qui recommande de "réduire son déficit maintenant pour éviter (...) de faire appel au FMI". "La crainte des marchés, c'est qu'à la fin, on ne fasse rien", abonde Olivier Redoulès.