"La crise de la dette publique, elle n'est pas pour cet automne, pour l'an prochain, ou pour 2027, mais dans 10 ans", estime Sylvain Bersinger, économiste
Depuis l'annonce d'un vote de confiance le 8 septembre susceptible de faire tomber le gouvernement de François Bayrou, les craintes au sujet de la dette du pays et de l'aggravation du déficit public s'accentuent. La France risque-t-elle d'être mise sous tutelle du Fonds monétaire international, le FMI, comme l'a suggéré le ministre de l'Économie ? Sylvain Bersinger, économiste, fondateur du cabinet Bersingéco, apporte son éclairage dans "La Matinale", mercredi 27 août, interrogé par Jean-Baptiste Marteau.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
Jean-Baptiste Marteau : La chute du gouvernement est annoncée, on peut le dire, pour le 8 septembre prochain, alors qu'on est toujours en pleine préparation du budget, un peu comme l'année dernière. C'est une nouvelle période d'incertitude qui s'ouvre. Est-ce que, contrairement à l'année dernière, ça pourrait faire paniquer les marchés cette fois-ci ?
Sylvain Bersinger : Il faut toujours marcher sur des œufs quant aux paniques des marchés financiers, parce que parfois, ils paniquent quand on s'attendait à ce qu'ils ne paniquent pas, et parfois, c'est l'inverse. Donc, je pose cette prudence. Mais je ne pense pas que ce soit le scénario d'une panique qui soit le plus probable. Rappelons-nous que, l'an dernier, comme vous l'avez dit, le gouvernement Barnier était tombé sur les questions budgétaires, ça n'avait pas entraîné de panique. Pourquoi y en aurait-il une aujourd'hui ? Et je pense aussi que la chute du gouvernement Bayrou sur les questions budgétaires, alors on ne sait pas si elle va se produire, c'est quand même un scénario qui est anticipé par les marchés, par les acteurs du monde économique depuis déjà quelques semaines, ou quelques mois. Je pense que les acteurs sur les marchés ont déjà considéré cette possibilité-là, en tout cas en partie.
Elle était anticipée l'année dernière, mais est-ce que le fait d'entrer dans une nouvelle zone d'incertitude, avec une dette qui est de plus en plus importante, est-ce que cette fois-ci, ça ne peut pas avoir de conséquences sur les marchés, mais aussi pour les investisseurs, bien plus importants que l'année dernière ?
C'est possible. Encore une fois, il faut être très prudent.
Qu'est-ce qui peut faire peur aux investisseurs dans la situation actuelle ?
Je pense que ce qui ferait peur aux investisseurs, c'est une dissolution. Parce qu'en fait, si on regarde depuis 2024, le baromètre principal dans cette situation, c'est le taux auquel s'endette l'État français. Tous les autres indicateurs, quand on parle de budget, d'aide publique, sont assez secondaires en réalité. Le baromètre, c'est donc le taux, parce que, si les investisseurs, c'est-à-dire les épargnants du monde entier, si vous prêtez de l'argent à des taux faibles, si vous vous percevez comme peu risqué, vous n'avez pas de problème. Mais si, par contre, ils commencent à se dire, "oulala, tel pays, il est risqué, je demande une prime de risque pour lui prêter de l'argent"... Ce taux, c'est le baromètre. Ce qu'on voit, c'est qu'il avait flambé au moment de la dissolution, quand il y avait notamment le RN ou le NFP aux portes du pouvoir. Et il se dégrade, on va dire, lentement mais sûrement, depuis un peu plus d'un an. Et donc, je crois que la vraie inquiétude des marchés, si on regarde ce qu'il s'est passé en 2024, ce serait l'arrivée au pouvoir de partis très dépensiers, d'extrême gauche ou d'extrême droite. Et là, je pense qu'on peut avoir un scénario, entre guillemets, à la Liz Truss : rappelez-vous le Royaume-Uni, il y a trois ans, lorsqu'elle avait présenté un budget avec des baisses d'impôts un peu farfelues. Là, il y avait une vraie panique, elle avait dû démissionner.
Rien qu'hier, la France a emprunté à peu près 4 milliards d'euros sur les marchés pour financer sa dette. Évidemment, ils sont déficitaires. Certains évoquent même maintenant l'hypothèse d'une intervention du FMI, du Fonds monétaire international, parce que la France ne pourrait plus, éventuellement, de nouveau, s'endetter et acheter de la dette sur les marchés... C'est réaliste, ou complètement fantaisiste cette hypothèse ?
Je pense que pour 2025, et même 2026-2027, c'est fantaisiste. On s'endette à peu près pratiquement au taux de l'Italie. L'Italie n'est pas sous tutelle du FMI. Donc en fait, je crois qu'on s'endette à des taux qui ne sont pas soutenables sur 10 ou 20 ans, mais qui sont tout à fait soutenables sur deux, trois ans. Le risque d'intervention du FMI, c'est vraiment le pompier en dernier recours. Je crois qu'on n'en est pas là. L'enjeu pour la France, c'est de réduire son déficit maintenant pour éviter dans dix ans d'avoir à appeler le FMI. Je crois que la crise de la dette publique, elle n'est pas pour cet automne, ou pour l'an prochain, ou pour 2027. Mais si on laisse filer des déficits sur des trajectoires qui, à mon avis, ne sont pas actuellement soutenables, dans 5, 10, 15 ans, on peut vraiment avoir une situation très grave avec le FMI, une situation de quasi-faillite. Donc, il faut agir maintenant pour éviter une très grave crise dans quelques années.
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