Notre critique de La Pie voleuse de Robert Guédiguian: adultère convenu entre trentenaires peu aimables
Marius et Jeannette ont vieilli. Presque trente ans ont passé depuis leurs premières amours. Ils se sont appauvris aussi. Entre la fermeture de l’usine, le travail au noir et une retraite de misère, ils vivotent dans une maison de L’Estaque, ce quartier de Marseille où Robert Guédiguian revient pour la première fois depuis Les Neiges du Kilimandjaro (2011). Leur photo de mariage accrochée au mur du salon a jauni. Une eau verte stagne dans la piscine avec vue sur une mer toujours bleue. Dans La Pie voleuse, Marius s’appelle Bruno (Gérard Meylan). Il tue le temps en jouant aux cartes et en bricolant des motos. Jeannette se nomme Maria (Ariane Ascaride). Elle est une auxiliaire de vie gentille et dévouée.
Monsieur Moreau (Jean-Pierre Darroussin), retraité en fauteuil roulant, comme ses autres employeurs, l’adorent. Elle fait le marché, prépare des filets de loup avec du riz pilaf, repasse les chemises. Elle filoute aussi, barbote un billet de dix euros pour se payer six huîtres, plaisir pas si minuscule et forfait pas si majuscule - après tout, elle n’est pas payée en heures supplémentaires alors qu’elle ne compte pas ses efforts. Une main sur le cœur, une autre dans le portefeuille. Maria usurpe aussi une signature pour des chèques servant à payer la location d’un piano à son petit-fils, que sa fille Jennifer, caissière, et son gendre chauffeur routier ne peuvent se permettre.
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Digne d’un feuilleton télévisuel
La découverte du pot aux roses et une plainte pour abus de faiblesse viennent perturber la routine illicite de la pie voleuse. Laurent (Grégoire Leprince-Ringuet), le fils de Darroussin, agent immobilier frustré de ne pas réussir à convaincre son père de vendre sa maison, y voit l’occasion rêvée de récupérer son héritage. Mais sa rencontre avec Jennifer (Marilou Aussiloux) le fait changer d’avis. Le coup de foudre est improbable. Les larmes de la jeune femme ambiguës (joie ? tristesse ? soumission ?). Le virage pris par Guédiguian surprenant. La chronique mélancolique du quartier, peuplé de personnes âgées bienveillantes et lettrées, jouées par les fidèles de la troupe du cinéaste - le regretté Jacques Boudet prend soin de son épouse sénile, Darroussin récite Les Pauvres Gens de Victor Hugo - cède la place à un adultère convenu entre trentenaires peu aimables. Une liaison digne d’un feuilleton télévisuel.
Plus belle la vie à l’Estaque ? Oui et non. La nostalgie, politique et sentimentale, de Guédiguian vire à l’aigre. C’est moins systématique que dans le très réactionnaire Gloria Mundi , qui accablait la jeunesse de tous les maux, de la débauche à la cupidité, mais c’est tout de même triste de penser et filmer cette fracture générationnelle avec si peu de nuances. On pourra arguer qu’elle était mieux traitée dans le précédent film de Guédiguian, Et la fête continue ! militante et politisée. Justement, ce tout ou rien, ce mouvement de balancier d’une œuvre à l’autre, exclut toute dialectique à l’intérieur du même film. Robert Guédiguian, et son ami et coscénariste Serge Valletti, tous deux septuagénaires, portent de nouveau un regard désabusé sur leurs enfants après eux. Les cocos aussi font les vieux cons.
La note du Figaro : 1/4