Licenciements de fonctionnaires : Aux États-Unis, Washington encaisse le coût du démantèlement de l’État fédéral par Elon Musk

Washington (États-Unis), correspondance.

Les voix sont calmes, posées, presque monotones. Évelyne et Harper1 racontent une histoire qu’elles ont répétée maintes fois : le retour de Donald Trump au pouvoir, les renvois massifs de fonctionnaires orchestrés par la Maison Blanche, en étroite collaboration avec le milliardaire Elon Musk et son controversé Département de l’Efficacité gouvernementale (Doge), la morosité ambiante qui gangrène peu à peu la capitale américaine… Ces deux anciennes employées d’une agence rattachée au ministère de la Santé, licenciées en février dernier, sont aux premières loges pour observer les politiques menées par la nouvelle administration. Les mobilisations, encore nombreuses il y a quelques mois dans les rues de Washington, et plus globalement, dans tout le pays, s’atténuent peu à peu et laissent désormais place à la consternation.

« C’est assez sombre. Beaucoup de gens ont été licenciés, je veux dire, des milliers de personnes dans notre communauté, nos voisins, nos amis. Il est impossible de faire trois pas sans croiser quelqu’un qui a été touché par ces licenciements de fonctionnaires fédéraux », raconte Harper. « Nous avons été virées, cela n’avait rien à voir avec nos performances ou ce que nous apportions à l’agence. Nous avons été victimes d’une décision radicale et injuste », martèle Évelyne. Depuis leur renvoi, les deux anciennes fonctionnaires se sont lancées dans la création d’une entreprise à impact social, destinée à venir en aide à leurs anciens collègues, notamment en matière de santé mentale.

« On réalise seulement après à quel point on a besoin d’eux »

Au sein de la capitale américaine, les conséquences du démantèlement de l’État fédéral sont nombreuses. Dans le district de Columbia, les fonctionnaires représentent 43 % de la population active et contribuent de facto à l’équilibre économique de la ville. Une légère récession est d’ailleurs attendue à court terme, sur le plan local. D’après un rapport publié début mai par Redfin, une société spécialisée dans l’immobilier en ligne, le nombre de logements en vente à Washington a augmenté de 25 % par rapport à l’année précédente. Sur un marché du travail déjà éprouvé par les vagues successives de licenciements — notamment au Département de la Santé et des Services sociaux ou à l’Agence des États-Unis pour le développement international — de nombreux anciens fonctionnaires ont fait le choix de quitter la ville pour tenter leur chance ailleurs.

L’incertitude plane sur la capitale où le coût de la vie est 53 % plus élevé que la moyenne nationale. « En ce moment, c’est comme des montagnes russes : quand vais-je toucher mon dernier salaire ? Et avec les procédures judiciaires en cours, rien n’est garanti », commente sobrement Évelyne. Jeudi 29 mai, la Maison Blanche a annoncé le lancement de nouvelles campagnes de recrutement. Selon Axios, il aurait été explicitement demandé, pour ces prochaines embauches, de ne pas prendre en compte l’origine ethnique ou le sexe des candidats, mais de privilégier des critères liés au « mérite ».

Toujours selon le média, ces nouvelles directives marquent une énième remise en question des politiques de diversité, d’équité et d’inclusion, qui pourraient s’avérer particulièrement controversées. « Notre agence ne fait pas partie de celles qui réembauchent. Je trouve extrêmement dommage que tant de fonctionnaires fédéraux aient vécu un tel traumatisme, pour qu’on réalise seulement après à quel point on a besoin d’eux. »

À ce jour, il reste difficile d’évaluer l’ampleur exacte des réductions de personnel au sein de l’appareil fédéral. Depuis janvier, environ 275 000 agents ont quitté leurs fonctions, par licenciement, démission ou départ à la retraite anticipée, selon la Fédération nationale des employés fédéraux. Loin des objectifs annoncés, Elon Musk n’a permis qu’une économie de 175 milliards de dollars, bien loin des 2 000 milliards promis lors de la campagne.

Le 24 mai dernier, le magnat de la tech a annoncé quitter son poste de superviseur du Doge pour se consacrer à ses entreprises. « La Maison-Blanche semble penser que le gouvernement fédéral est devenu trop important et souhaite réduire les dépenses, certaines étant jugées inutiles. Il est souvent possible de faire plus avec moins, mais il y a des limites : on ne peut pas continuer à réduire les budgets tout en s’attendant aux mêmes résultats, souligne Christopher Wlezien, professeur de science politique à l’université d’Austin. Dans ce cas, il s’agit de coupes importantes, de l’ordre de 10 à 12 %. »

  1. Les prénoms ont été modifiés. ↩︎

Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !

C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.

Face aux attaques incessantes des racistes et des porteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, faisons entendre une autre voix dans ce débat public toujours plus nauséabond.
Je veux en savoir plus.