Licenciements massifs, censure, autodafé numérique… comment l’administration de Donald Trump s’attaque à la science
« Le 13 février, un entomologiste du Département de l’agriculture des États-Unis (USDA) recevait un e-mail glaçant : il était licencié pour « mauvaise performance » – une explication jugée absurde puisqu’il venait tout juste d’être pressenti pour une promotion. Cet incident n’était que le premier signe d’un tsunami de licenciements. » C’est ainsi que débute un article récent de la prestigieuse revue « Science » très au fait des sujets de recherche aux États-Unis. Depuis le 20 janvier, date de l’investiture de Donald Trump, le magazine a créé sur son site le forum « Trump Tracker » qui vise au recueil systématique de témoignages montrant le démontage de la recherche publique états-unienne.
Ainsi, ce sont des milliers de scientifiques de diverses agences fédérales qui ont été congédiés en quelques jours et qui se sont manifestés sur ce site. En effet, placée sous la houlette du Doge (Département de l’efficacité gouvernementale), nouvel organe semi-officiel piloté par Elon Musk, l’opération de tronçonnage vise toutes les agences de recherche jugées « non essentielles » par le duo mégalomaniaque. Dans la santé, ce sont 1 200 postes qui ont été supprimés à l’Institut national de santé (le fameux NIH), mettant en péril des études sur le cancer et les maladies infectieuses. Au CDC (Centre de contrôle et de prévention des maladies), 750 employés ont été licenciés, affectant la surveillance des épidémies et la lutte contre les maladies chroniques.
Les licenciements risquent aussi de nuire à la préparation du pays face aux phénomènes météorologiques extrêmes
Pour les sciences de l’environnement, le constat est le même. Des licenciements massifs touchent la NOAA (Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique), la Nasa (Agence spatiale) « et les chercheurs du NSF (centre de recherche atmosphérique) craignent une fermeture pure et simple de leur agence », précise Maud Leriche, chercheuse au CNRS. La suppression de ces postes menace la continuité de séries de données essentielles et compromet des projets internationaux. Des organisations internationales s’inquiètent de l’impact sur les engagements des États-Unis dans les accords environnementaux et les licenciements risquent aussi de nuire à la préparation du pays face aux phénomènes météorologiques extrêmes.
Depuis le 20 janvier, des chercheurs tentent de préserver les données scientifiques avant l’autodafé numérique promis pour des sujets de recherche qui dérangent l’administration Trump. Des communautés de chercheurs s’organisent ainsi pour archiver les données dans le but de les restituer pour un prochain gouvernement, si ce n’est démocrate, au moins non autoritaire. « Je tente de transférer mes données avant de perdre l’accès à mon ordinateur. Personne ne sait qui reprendra mes travaux », témoigne un doctorant sur « Trump tracker ». Des recours juridiques sont en cours, mais les premières démarches ont été freinées par les tribunaux, renvoyant les syndicats vers la Commission nationale du travail.
L’ampleur de ces suppressions budgétaires dépasse le pays. L’Allea (Fédération européenne des académies des sciences et sciences humaines) a ainsi exprimé sa « profonde inquiétude » face à cette atteinte à la liberté académique. Cette indignation s’est renforcée lorsque le CDC a été sommé de retirer des publications contenant des termes tels que « genre », « LGBT ». Aux États-Unis, des manifestations ont réuni des centaines de chercheurs et de citoyens devant les sièges des agences fédérales et un appel au sursaut est lancé pour une manifestation ce vendredi 7 mars 2025, à l’image de la « marche pour la science » organisée en avril 2017 lors du premier mandat de Trump. Les prochaines semaines seront cruciales car le Congrès doit voter les budgets des agences scientifiques, mais l’incertitude plane.
Le point de vue de…
Maud Leriche Chercheuse en physique de l’atmosphère au CNRS et secrétaire générale adjointe du Syndicat national de la recherche scientifique (SNCS-FSU)
Comment percevez-vous l’impact de ces licenciements massifs sur la coopération scientifique internationale, notamment entre les États-Unis et l’Europe ?
L’impact est à venir, mais nous pouvons déjà anticiper de grandes difficultés pour les nombreuses collaborations franco-américaines dans les domaines du cancer et des maladies infectieuses. Tous les champs disciplinaires liés au changement climatique et à la chute de la biodiversité seront touchés aussi.
Pensez-vous que la communauté scientifique française et européenne devrait renforcer son engagement politique pour défendre la recherche publique face à de telles menaces ?
L’engagement politique de la communauté scientifique est compliqué face aux défis que sont les tensions entre autonomie scientifique, priorités politiques et influence économique. Les syndicats dans le secteur de la recherche publique ont un rôle évident à jouer dans cette défense. Ils ont aussi un rôle en tant que force de propositions pour améliorer le dialogue entre science et monde politique.
Quels moyens les scientifiques peuvent-ils utiliser pour sensibiliser le grand public à l’importance de la recherche dans les décisions politiques ?
Plusieurs leviers existent : interventions dans les médias, vulgarisation grand public, en incluant les possibilités offertes par les réseaux sociaux notamment. Il est aussi important que des docteurs pénètrent la haute administration de nos États pour y apporter une culture scientifique quasi inexistante à ce jour en France.
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