« C’est un climato-sceptique qui n’a pas peur de nier les faits », résume Aurélie Trouvé, députée LFI, lorsqu’on l’interroge sur le sénateur Laurent Duplomb. Début juillet, elle siégeait à la même commission mixte paritaire que lui. Ce dernier était encore inconnu du grand public avant le mois de janvier 2025, lorsque la proposition de loi, dont il est le rédacteur (et qui porte son nom), est votée au Sénat.
Selon l’intitulé légal du texte, elle a pour but de « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». La gauche ainsi que de nombreux scientifiques l’accusent surtout d’être une loi dangereuse pour la santé des Français et qui matraque sciemment toutes les glissières sanitaires qui jalonnent la production agricole.
Ils ne sont pas seuls à s’ériger contre la loi Duplomb. Le 10 juillet, deux jours après son adoption en commission mixte paritaire, une étudiante crée une pétition sur le site de l’Assemblée nationale qui demande l’abrogation du texte. Elle a désormais largement dépassé le seuil des 500 000 signatures – elle a passé le cap des 1,4 million de signatures -, nécessaire pour relancer le débat en séance plénière à l’Assemblée, à la discrétion des présidents des groupes.
« Le porte-parole d’Arnaud Rousseau »
Avant d’être élu aux sénatoriales de 2017 en Haute-Loire, sous les couleurs des « Républicains » (LR), Laurent Duplomb conjugue vie politique et engagement agricole. D’abord conseiller municipal puis maire de sa commune, Saint-Paulien, il monte en même temps en grade dans la sphère syndicale.
Dans sa région, il préside la section locale des Jeunes Agriculteurs (JA), affiliés à la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA), et la chambre d’agriculture de Haute‑Loire avant de diriger. Toujours localement, il dirige le groupe laitier Sodiaal (Yoplait, Candia, Entremonts, etc.). Une fois élu au Sénat, Laurent Duplomb semble avoir continué de maintenir des liens étroits avec son ancien syndicat.
« Il dit qu’il est de la FNSEA, qu’il est leur émissaire », dénonce ainsi la députée LFI Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques, mais aussi ancienne chercheuse en agroéconomie. « On peut dire que c’est le porte-parole d’Arnaud Rousseau, ils ont les mêmes éléments de langage », tacle le sénateur socialiste Jean-Claude Tissot qui connaît lui aussi très bien Laurent Duplomb.
Agriculteur et voisin de département, il est également co-rapporteur de la mission agricole avec l’élu de Haute-Loire, qui intervient chaque année au moment de la loi de finances. À l’Assemblée comme au Sénat, même son de cloche : il est soutenu inconditionnellement par la ministre de l’agriculture, Annie Genevard. « La ministre est complètement dans la paume des syndicats et des LR, elle n’a aucune indépendance », attaque Jean-Claude Tissot. Le sénateur socialiste en veut d’ailleurs pour preuve la loi Duplomb : « Elle a clairement été écrite à trois mains : la FNSEA et Arnaud Rousseau, le gouvernement et Annie Genevard et les Républicains et Laurent Duplomb ».
« Le refus catégorique de toute contradiction »
Et pas question d’émettre des critiques sur le produit final ! « Il est dans le refus catégorique de toute contradiction », dénonce Jean-Claude Tissot. Fort de la majorité de son groupe LR au Sénat, qui occupe 130 sièges sur 348, « il refuse le moindre amendement et se ferme à tout débat », continue le sénateur socialiste : « Comme il n’a pas besoin de nos voix pour faire passer ses lois, il néglige la représentation nationale. Il me fait penser à un Trump, à la française ».
Du côté de l’Assemblée nationale, Aurélie Trouvé dénonce également une atteinte à la démocratie : « À Gauche, nous avions réussi à maintenir, en commission mixte paritaire, l’indépendance de l’ANSES. Or, la ministre est revenue immédiatement dessus en le faisant passer par décret. Et c’était une idée de Laurent Duplomb à l’origine ! ».
Laurent Duplomb, en plus d’être fermé au débat, a également marqué ses interlocuteurs par son relativisme vis-à-vis de la science. Jean-Claude Tissot raconte avoir évoqué en plénière une tribune de scientifique vent debout contre sa proposition de loi. Dans cette dernière, la réintroduction de certains pesticides, nocifs pour la biodiversité comme pour la santé des agriculteurs et des consommateurs, est pointée du doigt.
Laurent Duplomb aurait balayé ces idées d’un geste de la main. Idem sur les recommandations de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) qui propose des alternatives aux pesticides ou fongicides chimiques, le sénateur républicain a refusé d’y prêter attention, préférant se concentrer sur l’aspect purement économique de la loi qui porte son nom.
« Produire, produire, produire à tout prix »
Mais, le sénateur de Haute-Loire n’a pas que des contradicteurs. Il peut compter sur le soutien sans faille de la FNSEA qui fait bloc derrière son allié. « Il veut redonner à l’agriculture française sa capacité de production », disent ses soutiens. Cette approche productiviste de l’agriculture de la FNSEA fait bondir Jean-Claude Tissot : « C’est le logiciel de nos parents. Il fonctionne selon le mode de production des années 1980, 1990 : produire, produire, produire à tout prix, comme si on ne savait pas les impacts néfastes environnementaux et sanitaires de ce mode de production ».
Si la pétition permet de débattre de la loi Duplomb à l’Assemblée, une idée à laquelle Yaël Braun-Pivet s’est dite favorable tout en refusant toute possibilité de vote, elle ne permet en rien son abrogation. Reste face à ce casse-tête démocratique, le Conseil constitutionnel, saisi le 11 juillet par les députés de gauche, qui dispose d’un mois pour donner son avis.
S’il ne censurait pas le texte, le président de la République « tenu (de procéder à la promulgation) dans un délai de quinze jours, dispose toutefois de la faculté ouverte par l’article 10, alinéa 2 de la Constitution de demander une nouvelle délibération au Parlement », notent, dans une tribune au Monde, des professeurs de droit public.
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