Guerre en Ukraine : attaques de drones, concentration de troupes... A quoi ressemble l'offensive d'été lancée par la Russie ?
L'Ukraine est plus que jamais en état d'alerte. Au 40e mois de la guerre à grande échelle lancée par la Russie, les forces de Kiev scrutent les mouvements de troupes dans plusieurs secteurs clés de la ligne de front. Dernier développement majeur : la concentration de 50 000 soldats dans la région de Koursk, frontalière de la ville de Soumy, dans le nord-est de l'Ukraine, selon le Wall Street Journal, qui cite des sources militaires ukrainiennes. De quoi laisser craindre une opération imminente contre cette localité, qui figure en haut de la liste des objectifs militaires de Moscou. Pour le quatrième été consécutif, l'armée ukrainienne s'attend à une montée en puissance des opérations russes. Selon les experts interrogés par franceinfo, l'offensive d'été russe a commencé sous plusieurs formes.
Des attaques aériennes de plus en plus massives
Ces dernières semaines, la Russie a intensifié ses bombardements et ses attaques de drones sur l'Ukraine, au point de battre plusieurs records à la suite au cours du mois de juin. Selon les signalements de l'armée de l'air ukrainienne, qui publie chaque matin un décompte des missiles et drones explosifs lancés par l'ennemi, un pic a encore été atteint dans la nuit du 28 au 29 juin, avec 537 engins russes détectés, dont 477 drones suicides. Selon les autorités ukrainiennes, la tactique russe implique de plus en plus souvent un mélange de missiles et de drones explosifs, notamment le modèle kamikaze Shahed, de conception iranienne, mais désormais produit sur le territoire russe.
"Ces attaques ont deux effets : elles terrorisent la population civile, mais permettent aussi à la Russie de tester les moyens de défense anti-aérienne de l'Ukraine", explique à franceinfo l'analyste Ulrich Bounat, géopolitologue et spécialiste de l'Europe centrale et de l'Est. "C'est surtout quand elles sont couplées à des tirs de missiles, balistiques ou de croisières, que les attaques de drones ont une valeur militaire, car elles touchent des sites stratégiques et pas seulement des immeubles résidentiels", détaille-t-il. Ces frappes aériennes forcent par ailleurs les autorités ukrainiennes à réorganiser la défense de leur ciel. "Faut-il protéger en priorité des sites militaires, des bases arrière du front, ou plutôt des zones peuplées ? C'est un vrai dilemme", souligne Ulrich Bounat.
Avec le drone, La Russie semble en tout cas avoir trouvé une arme de choix, et investit massivement dans sa chaîne de production. Pour assembler ces engins, le pays se tourne même vers de la main-d’œuvre étrangère bon marché, recrutée directement en Afrique ou fournie par la Corée du Nord, comme l'a rapporté Le Monde.
La menace d'un assaut terrestre sur Soumy
Située à une vingtaine de kilomètres de la ligne de front, selon les relevés de l'Institute for the Study of War (ISW), la ville de Soumy est ainsi bombardée depuis plusieurs mois et l'armée russe pourrait être tentée d'y lancer un assaut terrestre. La concentration de troupes y est telle qu'en cas d'affrontement, le ratio entre soldats ukrainiens et combattants russes serait d'un contre trois. "Leur stratégie principale, c'est de nous épuiser par leur nombre", a déclaré le général Oleksandr Syrsky, commandant en chef de l'armée ukrainienne, cité par le Wall Street Journal. Pour les militaires ukrainiens positionnés dans ce secteur, ce déséquilibre reste pour l'instant tenable, car les pertes russes se compteraient en centaines de soldats chaque jour. Cette affirmation faite par le commandant d'une unité ukrainienne déployée dans la zone, cité par le journal américain, a été démentie avec force par les médias officiels russes, comme l'agence Tass, lundi.
Reste que ces derniers mois, la ville a été fortifiée, et des renforts dépêchés sur place. "La menace de prendre Soumy force surtout les Ukrainiens à réorganiser leur défense", souligne auprès de franceinfo le général Jérôme Pellistrandi, qui dirige la Revue Défense nationale. "Le problème, c'est que l'Ukraine n'a pas un contingent infini, et que cette priorité donnée à Soumy signifie forcément que des troupes sont retirées à un autre endroit du front", ajoute-t-il. Face à "une ligne de front très étendue", qui s'étire sur environ 1 200 km dans le nord-est, l'est et le sud de l'Ukraine, "on voit que le pays cherche d'autres moyens de défense, comme des mines antipersonnel par exemple", note Jérôme Pellistrandi. Dimanche, le président ukrainien a officialisé son souhait de sortir de la convention d'Ottawa, qui interdit ces armes extrêmement dangereuses pour les populations civiles.
Une "guerre d'usure" qui se poursuit
Il n'y a pas qu'aux abords de Soumy que la Russie masse des troupes. Selon les dernières déclarations du général Syrskyi, le secteur de Pokrovsk, autre cité que Moscou cherche à conquérir coûte que coûte, compterait actuellement plus de 110 000 soldats russes. Pour Ulrich Bounat, c'est dans cette ville, ainsi que Kostiantynivka, à une vingtaine de kilomètres de là, que la poussée russe se fait le plus ressentir. "La tactique russe est la même depuis trois ans : une progression lente sur le front, soutenue par des tirs d'artillerie et des drones FPV [pilotés à l'aide de casques vidéo], et des attaques en profondeur sur les sites de production d'armement, les infrastructures critiques", résume-t-il.
"Pour Vladimir Poutine, la machine de guerre russe est lente, mais elle avance. L'Ukraine s'affaiblit plus vite que la Russie. Alors pourquoi s'arrêter ?"
Ulrich Bounat, analysteà franceinfo
Face à ces assauts, "l'Ukraine peut encore compter sur l'aide militaire des Européens, après le retrait américain", note pour sa part Jérôme Pellistrandi. "Mais le pays se trouve dans une position exclusivement défensive. Il est extrêmement difficile pour ses soldats de reprendre l'initiative et de reconquérir des territoires", complète-t-il. C'est une guerre d'usure, qui porte autant sur l'aspect psychologique que sur l'épuisement des soldats et des munitions". Le tout bien loin du processus de négociations, qui semble au point mort depuis les pourparlers d'Istanbul début juin. "Les Russes conservent leur tactique de pression maximum : ils appuient partout, jusqu'à temps que ça craque quelque part", résume Jérome Pellistrandi.