Aide Médicale d’État : pourquoi le durcissement annoncé par Sébastien Lecornu est « un non-sens total »

Début septembre, le gouvernement a présenté deux projets de décret visant à durcir l’accès à l’aide médicale d’État (AME), dispositif qui permet aux étrangers sans papiers d’accéder aux soins. Ces textes prévoient de restreindre la liste des justificatifs d’identité aux seules pièces avec photo, d’intégrer les revenus du conjoint régulier dans le calcul d’éligibilité et de réduire encore le panier de soins.

Bien que le texte ait été suspendu à la suite de la démission du gouvernement Bayrou, celui-ci a été réintroduit fin octobre par le cabinet de Sébastien Lecornu. « Le gouvernement reprend l’offensive, constate Matthias Thibeaud, référent accès droit santé à Médecins du Monde. Derrière de soi-disant simples ajustements administratifs, on sait très bien ce qui va se passer. »

Un risque sanitaire majeur

« Concrètement, cette mesure va exclure des milliers de personnes de l’accès aux soins » déplore Julie Chastang, médecin généraliste dans le Val-de-Marne et membre du collectif de soignants opposé au durcissement de l’AME. « Beaucoup de sans-papiers n’ont pas de pièce d’identité avec photo, ou ne peuvent pas en fournir avant des mois. »

Les raisons sont multiples : certains ont fui leur pays sans documents, d’autres les ont perdus, se les sont fait voler ou confisquer. Les démarches consulaires pour en obtenir de nouveaux peuvent, elles, prendre des mois, voire plus d’un an. Ainsi, selon Médecins du Monde, un tiers des personnes accompagnées n’a tout simplement pas la possibilité de produire un document d’identité avec photo.

« L’AME, c’est un dispositif de santé publique essentiel, insiste la praticienne. Le fragiliser, c’est porter un coup de plus à notre système de santé, alors que celui-ci est déjà à bout. On ne peut pas se permettre ça. »

Et les conséquences ne se limiteraient pas aux seuls étrangers sans papiers. « Toucher à l’AME, c’est toucher à la santé publique, martèle Matthias Thibeaud. C’est un non-sens total : tout le monde est perdant. »

Une manœuvre politique à courte vue

D’autant que le dispositif ne pèse quasiment rien dans les finances publiques : 0,468 % des dépenses de santé, rappellent les économistes Philippe Batifoulier et Nader Nefzi. Sous couvert d’économies, le gouvernement s’en prend donc à un dispositif qui n’a pourtant rien de coûteux.

Et l’argument de la fraude, brandi pour justifier ce durcissement, ne tient pas davantage : « La fraude à l’AME est extrêmement marginale, elle représente 0,026 % des dossiers selon la CNAM », rappelle Hugues Cordel, président de la Société française de lutte contre le sida.

Plus qu’une logique comptable, cette réforme semble donc répondre à d’autres intérêts. « C’est une mesure populiste, sans aucun fondement médical, estime Julie Chastang. Une tentative grossière de flatter certaines opinions et de s’assurer du soutien de la droite et de l’extrême droite pour faire passer le budget. »

Au fond, sous couvert de faire des économies, le gouvernement engage une manœuvre politique à courte vue qui « fragiliserait un dispositif pourtant vital pour la santé publique » conclut Matthias Thibeaud.

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