Anne Roger (SNESUP-FSU) : « L’austérité, ce sont les étudiants qui en font les frais »

Anne Roger
Secrétaire générale du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP-FSU)
Les universités françaises sont-elles au bord du précipice ?
En deux ans, depuis la loi de finances 2024, nous avons perdu plus d’un milliard d’euros de financements. À la fin de l’année 2024, avant la mise en œuvre de plans de retour à l’équilibre financier – qui n’ont pas été sans conséquences – 80 % des universités affichaient un budget déficitaire. 30 établissements (sur 75) ont aujourd’hui une capacité d’autofinancement égale à zéro : il n’y en avait aucun en 2021.
Ces quelques chiffres valent mieux que tous les discours. Une partie de notre problème vient du fait que cela ne se voit pas, parce qu’on trouve toujours des solutions pour maintenir le navire à flot : il y a toujours des cours, des diplômes délivrés… Mais c’est au prix de groupes de TD supprimés en surchargeant ceux qui restent, de l’arrêt du renouvellement des fonds documentaires des bibliothèques universitaires qui deviennent peu à peu obsolètes, du remplacement des départs en retraite par des enseignants précaires eux-mêmes surchargés de cours… Et ce sont les étudiants qui en font les frais.
Quelles peuvent être les conséquences concrètes des évaluations très négatives que le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) vient de livrer sur de nombreuses formations ?
Cela peut aller jusqu’à la fermeture des formations, si les universités concernées le décident. Le ministère peut aussi le leur demander. Il faut mesurer ce que cela signifie : sur toute la « vague E », cela pourrait concerner jusqu’à 60 000 étudiants ! Autre effet : ces évaluations sont publiques, puisque mises en ligne sur le site du Hcéres. Loin de les aider, l’impact sur l’image de ces licences ou masters serait très négatif. Un cercle vicieux, puisque cela ne manquerait pas d’aggraver le manque d’attractivité… qui est un des reproches formulés par le Hcéres à leur encontre.
Enfin il existe un autre risque, plus insidieux : les recommandations formulées par ces évaluations reviennent à imposer certaines orientations pédagogiques. Par exemple, le reproche récurrent sur l’insuffisance de l’approche par compétences peut devenir une injonction à transformer les formations, les modèles pédagogiques, vers plus de professionnalisation – avec le risque d’un appauvrissement de contenus en termes de savoirs et de connaissances. Sur ce sujet, il n’est pas inutile de rappeler que le Code de l’éducation donne mission aux universités de former des citoyens, de développer leur sens critique, de lutter contre les discriminations… Peut-être certains devraient-ils le relire ?
Tout cela ne risque-t-il pas de faire le jeu du supérieur privé ?
Aujourd’hui déjà, un quart des étudiants sont dans le privé. En affaiblissant les universités, on crée des niches favorables au privé, qui est sur le rythme d’un développement tranquille mais sûr. Pourtant, et l’actualité récente vient de le confirmer, s’il existe des établissements privés de qualité, on voit surtout se développer des lieux où on bourre les cours pour obtenir plus de financements, avec des formations dégradées, des enseignements très peu adossés à la recherche… et des publicités mensongères. Sur les salons étudiants, on en voit qui vendent surtout leurs séminaires d’intégration et les voyages à l’étranger !
Pensez-vous que la mobilisation d’aujourd’hui vous permettra d’être entendus ?
Oui, même s’il n’y aura pas forcément d’effets immédiats. Nous voulons surtout que nos collègues – qui sont épuisés, qui se questionnent eux, mais pas le système –, en voyant cette large mobilisation, très unitaire, sortent la tête du sable et osent dire que ça ne va plus. Nous avons besoin de nous appuyer sur notre force collective, d’autant plus à l’heure où les attaques contre la science et les chercheurs ne se limitent pas aux frontières des États-Unis. Nous le savons puisque nous avons déjà eu, ici, notre lot de procès en « islamogauchisme », en « wokisme », voire en antisémitisme.
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