"C'est ce qui crispe le plus" : la suppression de deux jours fériés voulue par François Bayrou est-elle "un leurre" pour faire passer les autres mesures budgétaires ?

Le Premier ministre n'avait pas encore fini son discours mardi que le Rassemblement national (RN) a immédiatement contre-attaqué sur le réseau social X. "La suppression de deux jours fériés, par ailleurs aussi chargés de sens que le lundi de Pâques et le 8 mai, est une attaque directe contre notre histoire, contre nos racines, et contre la France du travail. Aucun député RN n'acceptera cette mesure, qui relève de la provocation." Voilà la première réaction du parti d'extrême droite par la voix de son dirigeant, Jordan Bardella, aux orientations budgétaires de François Bayrou, présentées le 15 juillet. Dans le viseur du potentiel successeur de Marine Le Pen pour la présidentielle : l'annonce du patron du MoDem de supprimer deux jours fériés afin d'économiser 4,2 milliards d'euros.

Le centriste a mis sur la table deux "propositions" : le lundi de Pâques, qui n'"a aucune signification religieuse" et le 8-Mai qui se situe "dans un mois" devenu "un véritable gruyère". Le RN n'est pas le seul parti d'opposition à avoir dénoncé cette mesure, agitant la menace de la censure. "Cerise sur ce gâteau, la suppression du 8 mai, jour de la commémoration de la victoire sur le nazisme qui est un non-sens total", a dénoncé sur X, le patron du Parti socialiste (PS), Olivier Faure. "Un symbole : les deux jours fériés supprimés égalent le revenu de l’impôt sur la fortune que Macron interdit de rétablir…", a également fustigé sur X le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon.

"Un outil de négociation à blanc" ? 

"C'est un sujet tabou et très révélateur de notre rapport au travail dans notre pays. François Bayrou pose cela sur la table et tout le monde ne retient que ça", soupire le député MoDem Erwan Balanant qui voit dans les réactions politiques "une certaine volonté unanime des oppositions de procrastiner". "C'est ce qui crispe le plus", observe une députée du même camp. 

Et pour cause : cette mesure, qui rapporterait donc moins de 5 milliards d'euros sur les près de 44 milliards d'euros d'économies qu'entend faire François Bayrou l'année prochaine, est compréhensible immédiatement par tout monde. "C'est universel, hyper symbolique et pour les oppositions, facile à vendre", décrypte le constitutionnaliste Benjamin Morel. Dans l'opposition, certains s'inquiètent de la stratégie qui pourrait se cacher derrière cette annonce, comme la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie sur X.

Surtout, d'autres y voient une entrée en matière pour poser les bases des futures discussions entre le gouvernement et les parlementaires à la rentrée. En l'absence de majorité à l'Assemblée nationale, François Bayrou ne va avoir d'autre choix que de négocier avec les oppositions s'il veut éviter la censure et un destin à la Michel Barnier. "La bombe du 8-Mai ressemble beaucoup à un outil de négociation à blanc", observe la députée écologiste Sandra Regol. La porte est déjà entrouverte du côté de Matignon. "S'il y a d'autres propositions intelligentes qui rapportent de manière certaine les montants évoqués, le Premier ministre verra et pourra trancher sur autre chose", glisse un proche du centriste. Même son de cloche du côté du gouvernement. "Les dates évoquées par le Premier ministre sont des idées à ce stade", d'après l'entourage de la ministre du Travail.

De surcroît, la proposition n'emballe pas tout le monde du côté des soutiens au Premier ministre. "Je suis pour que l'on trouve une alternative et ça va être le rôle du Parlement, affirme une députée du MoDem. Je comprends que ça puisse être vécu comme une punition, mais si on n'arrive pas à trouver une alternative, ce n'est pas délirant par rapport aux autres pays européens." 

"La stratégie de l'escroc"

Pourrait-on imaginer que François Bayrou ait posé sur la table la suppression de deux jours pour en lâcher un dans la discussion et tenter de négocier une non-censure avec tel ou tel parti de l'opposition ? "Politiquement, ça peut être une excellente idée de François Bayrou", livre Benjamin Morel. 

"C'est un chiffon rouge. Le RN se jette dessus et si François Bayrou rétrocède cela, le parti de Jordan Bardella pourra l'afficher à son tableau de chasse et aura du mal à dire qu'il n'a rien obtenu."

Benjamin Morel, constitutionnaliste

à franceinfo

Au RN pourtant, on assure n'être pas dupes de la manœuvre. "C'est du gros rouge qui tache, mais cela ne suffira pas", met en garde le député Jean-Philippe Tanguy. "On connaît évidemment la stratégie de 'l'escroc', de 'je te rends ce que je t'ai pris'", embraye un stratège du parti. "Mais il n'y a pas que ça comme problème dans ces annonces. Où sont les économies sur l'immigration ou sur la contribution de la France à l'Union européenne ?", ajoute-t-on de même source.

A gauche, le discours est sensiblement le même. Cette proposition de suppression de deux jours fériés "peut faire office de leurre", reconnaît ainsi le député écologiste Benjamin Lucas, mais ajoute-t-il aussitôt, "il faudrait que nous soyons des enfants pour croire que le reste de l'histoire est acceptable". Un recul de François Bayrou sur ce sujet "ne suffira pas", affirme encore le porte-parole du groupe écolo.

Au PS – le parti de gauche le plus susceptible de négocier avec le gouvernement –, la position est similaire. "Revenir sur les deux jours fériés sera très insuffisant à nous convaincre", prévient le patron des députés socialistes, Boris Vallaud. Sans aller jusqu'à menacer de censure, les Républicains ne sont pas non plus emballés par la mesure. "Deux jours fériés en moins, c'est travailler plus pour gagner… pas plus. Et ce n'est pas dans l'ADN de la droite populaire qui défend les gens qui bossent", rappelle le député LR Antoine Vermorel-Marques, en référence au célèbre slogan de Nicolas Sarkozy. "Ça rapporte quelques milliards, mais c'est le petit bout de la lorgnette pour faire des économies", confie à franceinfo un autre député de droite. Les discussions budgétaires s'annoncent extrêmement ardues dans les semaines qui viennent. Une chose est certaine : il faudra attendre encore un peu avant de rayer définitivement du calendrier des jours fériés le 8-Mai et le lundi de Pâques.