Ulrike Eifler, syndicaliste allemande : « Arrêtez le délire du surarmement, seule la paix peut sauver nos industries »
Par Ulrike Eifler
Membre de la confédération des syndicats allemands (DGB), co-initiatrice du mouvement des syndicalistes contre le surarmement et la guerre
Le feu vert que vient de s’octroyer le futur gouvernement allemand d’un probable chancelier Merz, avant même d’être avalisé par le nouveau Bundestag, est un vrai scandale démocratique. Car il place le pays sous la contrainte d’un énorme budget de guerre sans que cela ait été débattu par les élus du nouveau parlement fédéral.
Des financements « sans limites », est-il dit explicitement, vont pouvoir être dirigés vers les équipements militaires. C’est une folie et les travailleurs de toutes les branches ont tout à perdre de ce choix politique. Le « frein à la dette » (règle d’or constitutionnelle qui empêche tout dépassement du budget fédéral de plus de 0,35 % du PIB) ne disparaît pas. Il est seulement révisé dans le but de gonfler comme jamais les dépenses d’armement. Friedrich Merz a prévenu que toutes les autres dépenses – pour la protection et l’aide sociale, la santé, les retraites ou l’éducation – seront logiquement vouées à encore davantage d’austérité.
Les seuls grands gagnants sont les géants de la fabrication de munitions et de chars d’assaut, comme le groupe Rheinmetall dont la valeur des actions bat record sur record. Penser un seul instant, comme l’affirment certains, que l’économie de guerre puisse constituer la porte de sortie de la crise et de la désindustrialisation qui a commencé à frapper ce pays, constitue à la fois un crime en puissance contre des dizaines de milliers de vies et une attaque immédiate contre les intérêts des travailleurs.
Les mégaenveloppes publiques annoncées déclenchent l’appétit des plus grands groupes. Plusieurs gros équipementiers automobiles comme Bosch ou Continental sont prêts à convertir leurs usines vers le militaire. Ce qui ne manquera pas de signifier à terme une perte de savoir-faire dans les productions civiles. Comment penser, comme le fait ouvertement Oliver Blume, le patron de Volkswagen, que la seule issue viable soit la livraison clé en main de son usine d’assemblage automobile d’Osnabrück à Rheinmetall pour en faire un lieu de production de véhicules blindés ? Les ravages sur l’emploi, même s’ils sont partiellement différés, ne peuvent qu’être décuplés à terme.
Témoignant dans un quotidien parisien, je voudrais signaler que des groupes français participent aussi à cette funeste conversion vert de gris de nos atouts industriels. Alstom a ainsi décidé de vendre son usine de Görlitz en Saxe qui fabriquait jusqu’ici des tramways et des wagons de chemin de fer à impérial, au groupe d’armement franco-allemand KNDS. Un tiers des effectifs vont disparaître et les salariés rescapés seront spécialisés sur la fabrication de pièces de plusieurs gammes de chars d’assaut, Léopard, Puma et Boxer.
Si le patronat espère tirer les plus grands profits de transformations comme celles-là, la société civile va les payer au prix fort avant même de se voir aspirée dans un conflit armé. Liquider la fabrication de véhicules utilitaires ou de transports publics constitue en effet une aberration, alors même que l’on commence à reconnaître l’existence de terribles retards d’investissements. Ils se traduisent par de dramatiques manques d’équipements, de personnels et d’entretiens des matériels existants dans nos cités et nos régions. Ils alimentent les dysfonctionnements et les retards chroniques observés à la Deutsche Bahn (les chemins de fers fédéraux allemands).
On prétend qu’un budget exceptionnel de 500 milliards sur douze ans, lui aussi exonéré des contraintes du frein à la dette, va pouvoir dégager le terrain pour les gros investissements si nécessaires dans les infrastructures. Mais le forcing déployé initialement pour la militarisation va s’avérer aussi contreproductif pour l’emploi et l’efficience de l’outil industriel que dangereuse pour la survie de l’humanité. C’est pourquoi nous avons décidé à quelques-uns de lancer un appel de « syndicalistes contre le surarmement » 1 pour arrêter ce délire. À ce jour plus de 5 000 responsables syndicaux l’ont signé.
Il ne nous faut pas « être prêt à la guerre » comme le disent les dirigeants de la coalition gouvernementale CDU/SPD qui se dessine sous l’autorité de Friedrich Merz. Nous, syndicalistes, savons qu’il ne peut y avoir d’avenir qu’avec la paix, le désarmement, le contrôle et la limitation des armes, des négociations et une recherche de solutions pacifiques aux conflits.
Le « frein à la dette » ne doit pas être « révisé » mais totalement levé pour les dépenses utiles à toute la société. Le futur chancelier a prévenu qu’il ferait d’autant plus d’économies sur les autres budgets qu’il entend mener à bien cette course folle aux dépenses militaires. Nos industries souffrent d’un manque de débouchés à l’exportation en raison déjà des guerres et de la montée des tensions internationales. Tant ce climat pèse sur les investissements en biens d’équipements, indispensables à des pays souvent encore confrontés au sous-développement. La paix est le seul dividende capable de redonner des ailes à nos industries.
- L’appel des syndicalistes allemands est intitulé : « Syndicats contre le surarmement et la guerre, soyons prêts à la paix et pas à la guerre ». ↩︎
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