"L'esprit est plus libre" : mais pourquoi François Bayrou lance-t-il sa chaîne YouTube pour parler du budget en plein été ?
La France compte un youtubeur de plus. Avec "FB Direct", François Bayrou a fait ses premiers pas sur la plateforme de diffusion de vidéos, mardi 5 août. En discourant pendant un peu plus de huit minutes, il a donné le coup d'envoi d'une série de contenus centrés sur le budget 2026, très gros morceau au menu du gouvernement et du Parlement de septembre à décembre.
Un podcast identique a également vu le jour, symbole de la volonté du Béarnais de s'aventurer sur des formats peu communs pour un Premier ministre. "Le but de cette communication directe est que vous vous forgiez votre propre opinion" à propos du "surendettement" de la France, "un mal auquel nous n'échapperons pas si nous ne faisons pas preuve de courage", défend-il dans cette première séquence.
Pourquoi François Bayrou a-t-il décidé de mener personnellement une telle campagne de communication, en plein cœur de l'été ? "Tous les responsables partent en vacances bien méritées, ce que je ne ferai pas, parce que les jours que nous allons vivre pendant ce mois d'août et le début du mois de septembre sont absolument cruciaux. C'est le moment où tout va se jouer", explique-t-il au début de la vidéo, diffusée mardi après-midi.
Chez l'ancien candidat à la présidentielle, ce ton grave est loin d'être une nouveauté. Depuis le printemps, il n'a cessé d'alerter sur la situation extrêmement difficile des finances publiques. Tout a formellement commencé par une longue conférence de presse intitulée "La vérité permet d'agir", le 15 avril, dont l'objectif était déjà la "prise de conscience" du grand public. Pour "sortir du piège mortel du déficit et de la dette", il a ensuite présenté ses pistes pour économiser près de 44 milliards d'euros le 15 juillet, une date estivale inhabituelle pour aborder ces questions.
S'adresser aux Français, "ceux qui décident vraiment"
Alors qu'il veut poursuivre son objectif de sensibilisation, le Premier ministre rejette auprès de franceinfo l'idée que le mois d'août serait une mauvaise période pour évoquer ce sujet souvent aride et complexe d'accès. "Au contraire, l'esprit est plus libre", assure-t-il.
"Il y a moins d'intervenants dans un débat vite confus."
François Bayrou, Premier ministreà franceinfo
Derrière ces interventions d'une dizaine de minutes au maximum, élaborées avec son équipe de communication, le locataire de Matignon insiste sur sa volonté de toucher directement ses concitoyens, sans intermédiaire. "Je pense depuis très longtemps que ceux qui décident vraiment, ce sont les Français. D'une certaine manière, les groupes politiques sont sensibles à leurs intérêts partisans, mais aussi à ce que leur diront les Français", expose-t-il.
Un moyen de contourner la situation au Parlement, avec une gauche et une extrême droite qui menacent toutes les deux de censurer son gouvernement lors de l'examen du budget. Une façon, aussi, de se passer de contradiction, car aucun journaliste n'interrogera le chef du gouvernement, qui répondra dès la semaine du 11 août à des questions de Français sélectionnées en amont. Après avoir été initialement désactivés, les commentaires ont été ouverts, ce qui a donné lieu à de nombreux appels à la démission.
La stratégie "de la dernière chance" ?
Très impopulaire, avec une cote de confiance qui a récemment atteint un plancher inédit de 12%, François Bayrou "cherche à retrouver de l'air avant la rentrée, pour être en meilleure position face aux députés et à l'opinion publique, avec un appel à la mobilisation contre lui", analyse Philippe Moreau-Chevrolet, communicant et professeur à Sciences Po. Ces dernières semaines, la date du mercredi 10 septembre a en effet émergé sur les réseaux sociaux, afin de mener des actions collectives contre les mesures d'économie prévues par le gouvernement.
L'exercice du Premier ministre, aux yeux du spécialiste en communication, se révèle périlleux. "Le plus grand risque que prend François Bayrou, c'est l'indifférence, malgré un effet de curiosité sur le premier épisode. Mais c'est aussi d'allumer d'autres feux : il prend le risque de mobiliser 'contre' plus que de mobiliser 'pour'", estime Philippe Moreau-Chevrolet. Autre écueil possible, selon lui, la menace d'une "concurrence d'image" entre le Premier ministre et Emmanuel Macron, qui s'est déjà livré plusieurs fois au jeu des vidéos sur les réseaux sociaux pour défendre sa politique.
"D'ordinaire, c'est le président de la République qui choisit ce type de stratégie."
Philippe Moreau-Chevrolet, professeur à Sciences Poà franceinfo
François Bayrou n'est cependant pas le premier chef du gouvernement à tenter l'aventure, rappelle le spécialiste en communication. "A l'époque, les Premiers ministres Manuel Valls (2014-2016) et Edouard Philippe (2017-2020) avaient déjà tenté de s'adresser directement au peuple sans intermédiaire", explique-t-il, en référence aux Facebook Live de l'ex-maire du Havre depuis son bureau à Matignon. En remontant plus loin, Pierre Mendès France tenait lui aussi des causeries radiophoniques hebdomadaires, au milieu des années 1950.
Mais cette fois, la situation est critique, comme l'a souligné à plusieurs reprises le patron du MoDem, qui se dispense de vacances pour préparer les esprits à un budget de rigueur. "C'est toujours une bonne chose que les élus essaient de convaincre plutôt que de contraindre", réagit le député LFI Antoine Léaument sur BFMTV. "Mais on ne fait pas avaler de l'acide sulfurique à quelqu'un juste parce qu'on l'a mieux emballé que la première fois qu'on le lui a proposé", met-il en garde.
François Bayrou "tente un recours au peuple, ce qui ressemble à une stratégie assez désespérée, celle de la dernière chance", analyse Philippe Moreau-Chevrolet. Avant une rentrée plus que tendue, le Premier ministre fait feu de tout bois pour tenter de conserver son bureau à Matignon cet hiver, quitte à y consacrer tout l'été.