« Seul le scénario de rupture permet de contenir l’augmentation des consommations » : quelle gestion de l’eau à l’heure du réchauffement climatique
La ressource en eau disponible a baissé de 14 % en quinze ans. Elle devrait se raréfier, particulièrement au sud, du fait du changement climatique, mais aussi de la demande en eau qui pourrait augmenter d’ici 2050.
Dans ces perspectives, le choix de modèle de société est crucial pour contenir ces effets, montre une étude prospective à horizon 2050 de France Stratégie sur la demande en eau, parue le 20 janvier.
Anticiper les « éventuels conflits d’usage »
Le rapport de l’administration, commandé par Élisabeth Borne alors Première ministre, en 2023, se base sur deux scénarios du GIEC : l’un modéré, l’autre, le plus pessimiste. Et, surtout, sur trois modèles de développement : poursuivre comme au cours de la précédente décennie sans changements majeurs, appliquer les politiques publiques prévues, notamment la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), ou s’orienter vers une rupture, avec davantage de sobriété.
L’idée, selon Hélène Arambourou, adjointe au directeur du département Développement durable et numérique au sein de l’administration, c’est de « mettre en évidence l’effet de choix de société structurants sur la demande en eau ». Et anticiper les « éventuels conflits d’usage », précise le rapport. Si les enseignements généraux ne surprennent guère, l’étude apporte de l’eau au moulin des incitations à agir.
« Seul le scénario de rupture permet de contenir l’augmentation des consommations »
L’agriculture a une incidence majeure sur cette ressource vitale : en 2020, l’irrigation représentait 61 % de la consommation d’eau, c’est-à-dire l’eau qui ne retourne pas dans le milieu, au niveau national. L’application des politiques publiques prévues notamment par la SNBC, qui prévoit d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, conduit à une augmentation de 72 % de la consommation d’eau.
Sans surprise au vu des projections climatiques, poursuivre les logiques des années 2010-2020 provoquerait une augmentation de la consommation de 102 %. Le scénario de rupture, axé sur la sobriété, le développement de l’agroécologie et des énergies renouvelables, permet d’éviter cet écueil : « Seul le scénario de rupture permet de contenir l’augmentation des consommations (+ 10 % par rapport à 2020) dans la configuration climatique la plus défavorable étudiée » selon la note issue du rapport.
Une demande « concentrée au cours des mois les plus chauds »
« Avec l’augmentation de la part de l’agriculture dans les prélèvements, la demande en eau sera davantage concentrée au cours des mois les plus chauds de l’année, quand la ressource en eau est au plus bas dans les milieux aquatiques », explique encore Hélène Arambourou. L’étude pointe également de fortes disparités régionales : « On peut s’attendre, poursuit-elle, à une augmentation de la demande en eau d’irrigation entre 2020 et 2050 liée à l’évolution du climat, et en particulier à la baisse des précipitations qui va être concentrée dans la partie sud de la France. »
Dans une optique de laisser-faire, la croissance de la demande d’irrigation pourrait être multipliée par trois dans le Sud-Ouest de la France. Le scénario de rupture, qui permet de la contenir, préconise de « mettre en place de nouvelles pratiques agroécologiques, développer ou utiliser des plans qui sont plus résistants à la sécheresse, quitte à avoir des diminutions de rendement », analyse Hélène Arambourou.
Les méga-bassines, un « effet relativement limité »
Quant aux effets des « retenues de substitution » – comprendre les méga-bassines, entre autres –, le résultat est mitigé. Et les conclusions de l’administration, rattachée à Matignon, prudentes : « Même en construisant beaucoup de retenues, l’effet serait relativement limité », selon Hélène Arambourou. Et ce, sans s’avancer sur les effets néfastes sur les nappes d’eau souterraines et la biodiversité qui leur sont reprochés.
Elles pourraient même occasionner une baisse de 6 % de la demande dans certains cas. Mais « elles peuvent être efficaces localement et s’accompagner d’un changement de pratique des irrigants, mais aussi permettre la relocalisation de certaines activités », avance Hélène Arambourou. Un exemple : compenser une baisse de la couverture neigeuse, une forme de stockage de l’eau restituée au printemps, à la fonte, comme dans les Pyrénées. Pour autant, « ce ne sera pas l’unique solution. Il va falloir mettre en place un bouquet de solutions et le stockage aura peut-être un intérêt uniquement dans certains territoires et pour irriguer certaines cultures. » Les précautions oratoires sont prises.
Coté énergie, qui représente 45 % des prélèvements d’eau en 2020, l’électrification massive peut se voir couplée à une baisse de la consommation, dans le cadre du scénario de rupture : « Ce n’est pas incompatible parce qu’on électrifie pour pouvoir décarboner nos usages. Mais on va avoir des usages qui sont complètement différents, c’est-à-dire qu’on va réduire la mobilité, on va réduire le chauffage, etc. », détaille Simon Ferriere, Chef de projet au sein du département Développement durable et numérique de France Stratégie. En somme, ce nouveau rapport de l’administration montre que la rupture avec le modèle de société actuel semble l’option la plus viable. À bon entendeur…
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