Climat : la France peut-elle atteindre ses objectifs ?

Agir davantage pour le climat est bon pour les emplois et le pouvoir d’achat. Il faut relancer la planification écologique

Anne Bringault

Directrice des programmes Réseau Action Climat

L’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée au niveau mondial, avec une multiplication des pics de chaleur et des sécheresses alimentant des incendies meurtriers. Les graves inondations se sont succédé en Birmanie, en Afrique centrale et de l’Ouest ou en Espagne. La montée du niveau des mers rend inhabitables les premières îles menacées de submersion.

Pendant ce temps, la planification écologique patine en France, victime de la crise politique, avec des émissions de gaz à effet de serre (GES) reparties à la hausse au troisième trimestre 2024. Notre pays n’a toujours pas acté ses nouveaux objectifs en matière de climat et d’énergie, ni sa feuille de route pour les atteindre. Le cap a pourtant été fixé au niveau européen : réduire de 55 % les émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990).

La guerre en Ukraine et la dépendance au gaz et au pétrole russes ont renforcé cette volonté d’accélérer la transition écologique. Se libérer des énergies fossiles, c’est gagner en souveraineté énergétique et préserver le pouvoir d’achat de la volatilité des prix du pétrole ou du gaz. Engager une transition écologique ambitieuse, c’est aussi créer de nombreux emplois dans les énergies renouvelables, la rénovation des bâtiments ou les transports collectifs. Sans visibilité, ces emplois sont menacés.

Le renforcement des objectifs de baisse des émissions de GES pour 2030 est nécessaire pour que la France fasse sa part dans la lutte contre le changement climatique. Une déclinaison de ces objectifs, secteur par secteur, est proposée par le secrétariat général à la Planification écologique et permet d’illustrer les transformations majeures induites. Il s’agit de développer l’usage des transports collectifs, du vélo, du télétravail.

Il faut encore atteindre 66 % de véhicules électriques parmi les voitures neuves vendues en 2030, doubler la quantité de légumes secs consommés par rapport à 2021, en parallèle de la baisse de la consommation de produits d’origine animale, accélérer massivement la rénovation d’ampleur des logements ou encore remplacer 75 % des chaudières au fioul d’ici à 2030 par un autre mode de chauffage… Autant d’objectifs qui sont réalisables, à condition d’engager un dialogue renforcé avec les acteurs de la société civile et de mettre en œuvre des politiques publiques qui soient à la fois en cohérence et justes.

Le projet de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui a été mis en consultation en fin d’année 2024, liste d’ailleurs les leviers de politiques publiques à activer. Ainsi, dans le domaine des transports, la SNBC prévoit entre autres une obligation de verdissement des flottes de véhicules d’entreprise et un développement des pistes cyclables. Or ces mesures ne sont pas mises en œuvre et le budget 2025 pourrait même aller à l’inverse et couper les moyens alloués à la transition écologique et juste, au risque d’une accélération… dans la crise écologique.

Une part notable de la baisse provient de la crise sanitaire. En réalité, l’empreinte carbone des Français a trop peu diminué

Sylvestre Huet

Auteur et journaliste

À la question posée – la France peut-elle atteindre ses objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre (GES) ? – une réponse de Normand serait possible. Elle s’appuierait sur les derniers chiffres connus publiés par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique, le CITEPA. Les émissions de GES en France ont diminué de 5,8 % entre 2022 et 2023, presque en ligne avec les objectifs pour 2030. Les chiffres provisoires pour la première moitié de l’année 2024 indiquent également une diminution.

Il serait toutefois prudent de souligner qu’une part notable des diminutions observées sur la période 2019-2023 provient de la crise sanitaire du Covid et aux arrêts de production et de transport qui en ont découlé. Ou pointer que les chiffres de 2023 sont en ligne avec les objectifs pour les émissions mais pas pour le puits de carbone naturel, en raison de la mauvaise santé de nos forêts. Noter qu’une part des bons résultats du premier semestre 2024 proviennent d’un climat très doux et le retour en forme de nos centrales nucléaires n’est pas inutile.

Mais cela pourrait tourner au chipotage évitant le problème numéro un. Les objectifs officiels d’émissions de GES sont-ils les bons ? Au regard des négociations dans le cadre de la convention climat de l’ONU, c’est le cas. Mais ces textes mesurent les émissions d’un pays sur la base de son inventaire, donc ses émissions réalisées sur le territoire national. Or la France fait partie des pays dont les émissions réelles – dites « empreinte carbone » et tenant compte des émissions liées à la fabrication et au transport des biens et les attribuant aux consommateurs et non aux producteurs – sont très éloignées de cet inventaire. 

L’inventaire dit que la France a émis 372 millions de tonnes équivalent CO2 en 2023. Mais son empreinte carbone est estimée à 644 millions de tonnes équivalent CO2, soit 9,4 tonnes par personne, dont 362 millions de tonnes importées. De sorte que l’empreinte carbone des Français a trop peu diminué depuis 1990, en raison de la part croissante des importations dans ses émissions réelles.

Faire sa part du travail dans la réduction de la menace climatique requiert de raisonner en empreinte carbone et non en émissions territoriales. En se fixant un objectif d’environ 2 tonnes par personne, seul compatible avec l’objectif climatique planétaire et l’accès de tous les humains à une vie décente. Les politiques actuelles sont incapables d’y parvenir. Cela réclamerait des bouleversements socio-politiques, et non seulement technologiques (électrification, isolation des bâtiments, etc.), notamment par l’éradication des revenus et patrimoines trop élevés, la fin de la publicité commerciale et des objectifs environnementaux comme critères de gestion des entreprises et d’orientation des financements publics et privés. Une révolution.

À lire

Le Giec, urgence climat, de Sylvestre Huet, Tallandier, 2023.

Croquis de science, de Sylvestre Huet, éditions de l’Humanité, 2024.

Le Giec, urgence climat, de Sylvestre Huet, Tallandier, 2023.

Croquis de science, de Sylvestre Huet, éditions de l’Humanité, 2024.

Le Giec, urgence climat, de Sylvestre Huet, Tallandier, 2023.

Croquis de science, de Sylvestre Huet, éditions de l’Humanité, 2024.

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