L'Europe est dans une phase «de colère et de sursaut» qu'il faut «cultiver», analyse Raphaël Glucksmann

Dans un entretien accordé à l’AFP jeudi 20 mars, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann a déclaré que l'Union européenne est à un «moment de bascule», face aux coups de butoir russes et maintenant américains, et doit agir dans la durée si elle entend réellement prendre son destin en main.

Membre de la commission des Affaires étrangères au Parlement européen, le député du mouvement Place Publique n'a eu de cesse ces dernières années d'appeler les Européens à s'émanciper des États-Unis. L'Amérique de Donald Trump, plus menaçante que jamais à l'encontre de l'UE, a renforcé le discours de celui qui a été baptisé cette semaine par la Maison-Blanche de «petit homme politique français méconnu» pour avoir réclamé le retour en France de la Statue de la liberté.

«Une prise de conscience indéniable»

La défense de l'Ukraine, dont il a fait son combat, l'a aussi fait revenir sur le devant de la scène, en France mais aussi au Parlement européen. Arrivé en tête de la gauche (13,8%) aux européennes en France, il ambitionne de «peser» sur la prochaine élection présidentielle de 2027. S'il se félicite du grand chamboulement géopolitique en cours, il reste prudent. «Il y a une prise de conscience indéniable (...), mais il faut que ça débouche sur des actions».

Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche est en train d'agir comme un électrochoc. Mais surtout, explique-t-il, la «claque» administrée par le président américain à son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, fin février dans le bureau ovale à Washington, «a réveillé beaucoup de monde». Et de citer l'Allemagne, qui vit «une révolution absolue». «Entendre le futur chancelier chrétien-démocrate (Friedrich) Merz dire qu'il va falloir faire sans les États-Unis, c'est quelque chose d'inédit», tant l'alliance avec l'Amérique est «consubstantielle à l'existence même de la démocratie allemande», assure-t-il. Il y a eu un «moment de colère et de sursaut», et, «il faut qu'on cultive ça», souligne-t-il. Or, rien n'est moins simple dans des sociétés à la mémoire «de poissons rouges», habituées à «zapper».

« Ce qu’il s’est passé dans le Bureau ovale, ce n’est pas un accident de l’Histoire. Ce sera une politique, et donc on aura chaque jour un réveil qui sonnera »

Raphaël Glucksmann

«Ce qu'il s'est passé dans le Bureau Ovale , ce n'est pas un accident de l'Histoire. Ce sera une politique, et donc on aura chaque jour un réveil qui sonnera» avec une déclaration ou une décision de la part du président américain. «C'est une offensive tous azimuts, et il ne faut pas croire que ça va s'arrêter, ça va continuer», assure-t-il.

Un emprunt de 500 milliards d’euros

Face à cette situation, les Européens peuvent décider «d'abandonner le projet européen (...) et de laisser l'Europe se morceler sous les coups de boutoir de Poutine et de Trump. Mais, alors l'Europe connaîtra un destin «de serpillière» ou servira de «paillasson aux empires renaissants», avertit-il. «Il faut donc agir vite pour» réarmer «l'Europe, comme l'ambitionnent la Commission européenne et sa présidente Ursula von der Leyen. Mais, redoute Raphaël Glucksmann, les Européens risquent de rater le coche.»

«Mme von der Leyen veut mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros  sur quatre ans pour renforcer la défense du continent. Mais, avec cette proposition, elle passe la balle aux États membres» en se contentant de faciliter leurs dépenses militaires, dans l'espoir qu'elles atteignent 650 milliards avant 2030. Ce qu’il faut selon lui, ce n'est pas 27 États qui investissent de manière séparée, c'est un emprunt commun de 500 milliards d'euros, comme fait «pendant la pandémie de Covid», estime-t-il, évoquant une piste qui suscite des réserves dans de nombreux États membres.

Pour convaincre les opinions publiques en Europe, dont beaucoup sont sceptiques sur la réalité de la menace et l'urgence à y répondre, l’eurodéputé juge essentiel que les Européens se montrent capables «de lever de l'argent». Car l'enjeu de «l'emprunt commun à 500 milliards, c'est aussi de permettre de ne pas mettre en compétition les dépenses sur le social et la défense», estime-t-il.