REPORTAGE. "Je ne sais pas ce qui va nous attendre" : en Syrie, la crainte des Alaouites après une série de massacres

En Syrie, après une semaine sanglante opposant les partisans de Bachar al Assad et les nouvelles autorités, le bilan s'alourdit. L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) fait état lundi 10 mars de 973 civils tués, depuis le 6 mars, par les forces de sécurité syriennes et des groupes alliés dans l'ouest du pays. Ces massacres visent principalement la communauté alaouite. Le nouveau pouvoir a promis de ramener le calme et de condamner les coupables de ces exactions, véritable défi existentiel pour lui. En attendant, la peur au sein de la population est fortement présente.

On ne peut pas donner son nom, encore moins celui de son village. Cet habitant de la côte du nord-est syrien, est enfermé chez lui depuis plusieurs jours et témoigne par téléphone : "Pour l’instant, je suis encore en sécurité chez moi, mais je ne sais pas ce qui va nous attendre."

"Dans mon village, ils ont tué une famille entière, la mère, le père et leurs enfants, pour pouvoir voler leurs voitures. Certains corps sont encore dans les maisons."

Un habitant

à franceinfo

Questions sur les auteurs

Les routes vers les villes côtières de Tartous et Lattaquié sont bloquées. Impossible encore de connaître le bilan exact des massacres, ni l’origine de tous leurs auteurs. Encore ce week-end, des affrontements ont eu lieu dans les montagnes entre les nouvelles autorités et les soutiens de l’ancien régime. Mohamed, docteur, témoigne depuis un hôpital de la région de Tartous, toujours en sous-effectif : "Des civils ont été tués dans le quartier de l'hôpital. J’ai vu de mon côté une vingtaine de patients blessés et des magasins de civils qui avaient été incendiés, des biens de civils qui avaient été détruits."

Plusieurs témoins accusent des islamistes radicaux ou des djihadistes étrangers d'être à l’origine des attaques, refusant l’autorité du nouveau pouvoir et la transition démocratique. Le président par intérim du pays a d’ores et déjà mis en place un comité indépendant chargé d'enquêter sur les massacres. Mais les conséquences de crimes de haine sur la société pourraient être lourdes.

Sentiment de revanche

À Deraa, Ihab est un rescapé de la prison de Saydnaya, la plus meurtrière de l’ancien régime. Après des années de torture et d’horreur, il fait partie de ceux nourrissant un sentiment viscéral de revanche. "Vous ne savez pas ce que Bachar al-Assad nous a fait subir. Les Alaouites n'ont eu aucune pitié pour nous. Bien sûr, je parle des militaires. Peut-être qu'il y a des intellectuels parmi eux qui n’ont rien à voir avec ça."

"Ils savaient. Ils étaient au courant et ils se taisaient. C’est pour ça que je n’ai aucune pitié pour eux. Si j’étais là-bas, je ne sais pas ce que je ferais." 

Ihab

à franceinfo

Pourtant, nombreux sont les Syriens à avoir appelé à la justice à travers le pays. Des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs villes du pays, pour demander à empêcher la montée des haines communautaires. Mais dans un pays morcelé, fragilisé, traumatisé, le risque est que les souffrances endurées se transforment en vengeance et la transition démocratique tant espérée par les Syriens, en nouveau chaos.