Effacée et sous-équipée, l’armée libanaise prise en étau entre Israël et le Hezbollah
Au moins 1 373 personnes ont été tuées à travers le Liban depuis l’intensification des opérations militaires d'Israël contre le Hezbollah le 23 septembre. Des frappes israéliennes qui n’épargnent pas les soldats de l’armée libanaise, dont au moins quatre sont morts.
L’un d'eux a perdu la vie lors d'un tir israélien, alors qu'il se trouvait à un barrage routier début octobre. Un deuxième militaire libanais a été tué le 3 octobre par une frappe israélienne sur un poste militaire dans la région de Bint Jbeil, dans le sud du Liban. Deux autres sont morts dans une frappe qui a visé un lieu proche d'un point de contrôle de l'armée libanaise à Kafra, dans le sud du pays également, le 11 octobre 2024.
Stationnés pour une partie d’entre eux à quelques kilomètres de la frontière avec Israël après s’être retirés - lorsque les rumeurs d'une offensive terrestre israélienne imminente ont commencé à se faire entendre le 30 septembre -, ils se trouvent en première ligne des combats, sans pour autant y prendre part. Ils ont cependant affirmé avoir riposté après avoir été attaqués le 3 octobre à Bint Jbeil, une première depuis l’offensive israélienne.
Sous perfusion de l’aide internationale
Israël affirme viser les infrastructures libanaises utilisées par le Hezbollah, notamment les systèmes de tunnels, les caches d'armes et les lieux où se trouvent des dirigeants de premier plan du mouvement chiite soutenu par l’Iran. Mais les frappes meurtrières touchent aussi des immeubles résidentiels situés à l'extérieur des bastions connus du Hezbollah, ainsi que des bases utilisées par l'armée libanaise et les forces de maintien de la paix de l'ONU dans le sud du pays.
Entre Israël et le Hezbollah, "les militaires libanais se retrouvent coincés entre le marteau et l'enclume", souligne Clive Jones, directeur de l’Institut d’études islamiques et moyen-orientales de l’Université de Durham au Royaume-Uni. "L'armée libanaise ne peut pas faire grand-chose face à l'incursion israélienne".
Éprouvée par cinq années de crise économique au Liban, l'armée nationale compte environ 80 000 soldats mais elle dispose d'un arsenal obsolète, d'une marine limitée et n'a pas de système de défense aérienne. Elle vit sous perfusion de l’aide internationale, largement financée par des subventions des États-Unis et du Qatar, qui a approuvé en septembre une subvention de trois mois destinée à couvrir ses frais de carburant.
"Des rapports relèvent que certains soldats sont contraints d’exercer un deuxième emploi parce que leur salaire mensuel ne couvre pas les frais du quotidien, et ce même jusqu'au grade d'officier supérieur", indique Clive Jones.
La puissance du Hezbollah, fort d’environ 100 000 combattants avant les opérations militaires israéliennes, et d'un puissant arsenal fourni par l'Iran, est sans commune mesure avec cette armée régulière. De même, elle ne fait pas le poids face à Tsahal, ses 670 000 soldats et ses technologies de pointe.
"La plupart des armées ont pour rôle premier de défendre l'intégrité territoriale de leur pays, mais c’est une mission que l'armée libanaise n'a jamais été en mesure de remplir et elle n'est certainement pas prête à cela dans les conditions actuelles", ajoute Clive Jones.
Un rôle de stabilisateur sur le plan intérieur
En revanche, au Liban, l’armée régulière joue un rôle symbolique sur le plan de la cohésion intérieure. L'armée libanaise est "l'une des rares institutions à jouir de la confiance de la grande majorité des citoyens libanais et des acteurs internationaux", explique Fadi Nicholas Nassar, chercheur américano-libanais au Middle East Institute (Washington DC, États-Unis).
"D’après les sondages d'opinion, la seule institution en laquelle la plupart des Libanais ont confiance n'est pas le gouvernement, mais l'armée", abonde Clive Jones. "Elle reflète l'idéal d'un corps multiconfessionnel, qui démontre que les différentes communautés peuvent travailler ensemble".
La popularité de l'armée est telle que son commandant actuel, le général Joseph Aoun, est considéré comme l'un des principaux candidats pressentis pour devenir président du Liban, un poste vacant depuis deux ans.
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Dans un pays fracturé, l'armée joue aussi un rôle important de maintien de la stabilité, en collaborant notamment avec les forces de maintien de la paix de l'ONU dans le Sud. Plus récemment, "l'armée est intervenue pour apaiser les tensions entre les Libanais déplacés et les communautés d'accueil", note depuis Beyrouth David Wood, spécialiste du Liban à l'International Crisis Group.
"Le mouvement d’un demi-million de partisans libanais du Hezbollah vers des zones anti-Hezbollah crée des frictions qui pourraient conduire à des troubles sécuritaires et peut-être à une guerre civile", redoute le général libanais à la retraite Khalil El Helou, interrogé par la BBC. D’après lui, le rôle de l'armée libanaise, dans ce contexte, est "de maintenir la stabilité intérieure".
On peut s'attendre à ce que l'armée puisse, lorsque le conflit au Liban s'apaisera, "jouer un rôle de poids dans le dispositif de sécurité d'après-guerre pour le Sud-Liban et pour le pays en général", souligne David Wood.
Soutien occidental
Certains dirigeants occidentaux, comme le président Emmanuel Macron, misent sur cette armée libanaise. Le dirigeant français a lancé l’idée d’un sommet, prévu à Paris le 24 octobre, pour rallier la communauté internationale au soutien des institutions libanaises, "en particulier celles des forces armées libanaises".
Toutefois, les conditions qui sous-tendent l’octroi de cette aide sont importantes, alerte David Wood. "La question est de savoir ce que la communauté internationale attend de l'armée en échange de ces fonds". Faire pression sur l'armée pour qu'elle intervienne contre le Hezbollah pourrait par exemple conduire à son implosion. "Il n'est pas difficile d'imaginer un scénario dans lequel les chiites libanais, qui constituent une grande partie des membres de l'armée, refuseraient d'agir ou déserteraient complètement", analyse David Wood.
Le Premier ministre libanais, quant à lui, s'est dit prêt, mardi 15 octobre, à augmenter les effectifs de l'armée dans le sud du pays afin que celle-ci contrôle cette région frontalière en cas de cessez-le-feu avec Israël. Dans un entretien à l'AFP, Najib Mikati a fait état d'"efforts sérieux" de la communauté internationale en vue d'imposer un cessez-le-feu, accepté selon lui par le Hezbollah.
"Nous avons actuellement 4 500 militaires dans le Sud et nous voulons passer entre 7 000 et 11 000", a-t-il ajouté. Il a indiqué que le gouvernement, qui compte sur l'aide internationale en raison de l'effondrement économique du pays, allait commencer par recruter 1 500 nouveaux soldats.
Article adapté de l’anglais. Retrouvez l’original ici.