Accusé d’attiser l’antisémitisme par Netanyahou, Macron pris au piège de la propagande israélienne

Tous ceux qui s’opposent à la politique de Benyamin Netanyahou, à Gaza comme en Cisjordanie, seront traités d’antisémites par le premier ministre d’Israël. La gauche le sait depuis longtemps. Emmanuel Macron l’apprend aujourd’hui à ses dépens.

Le président de la République a reçu, le 19 août, un courrier officiel de Tel-Aviv dans lequel Benyamin Netanyahou l’accuse ouvertement « d’alimenter le feu antisémite » en France de par son choix de reconnaître l’État de la Palestine : « Je suis préoccupé par la montée alarmante de l’antisémitisme en France et par le manque d’actions décisives de votre gouvernement pour y faire face. Ces dernières années, l’antisémitisme a ravagé les villes françaises », écrit le dirigeant d’extrême droite.

Tel-Aviv demande entre les lignes à la France de changer de position d’ici au 23 septembre, date à laquelle s’achèvera l’Assemblée générale de l’ONU au cours de laquelle Emmanuel Macron doit acter la reconnaissance d’un État palestinien, aux côtés d’autres pays comme le Canada, l’Australie et peut-être le Royaume-Uni.

L’arroseur arrosé

Israël a d’ailleurs envoyé une lettre similaire au premier ministre australien, Anthony Albanese, le 17 août. Sentant le vent tourner dans l’opinion publique internationale, y compris chez ses soutiens historiques, Tel-Aviv tente un ultime coup de pression pour éviter ce camouflet diplomatique. Benyamin Netanyahou est au demeurant coutumier du fait : il avait déjà accusé le secrétaire général de l’ONU et même le pape François d’antisémitisme, après que ce dernier a employé le terme de « génocide » pour qualifier la situation à Gaza.

L’Élysée s’apprête à répliquer formellement au premier ministre israélien, par courrier, mais a d’ores et déjà réagi : la présidence dénonce une accusation « erronée, abjecte et qui ne restera pas sans réponse ». « La République protège et protégera toujours les juifs », ajoute-t-elle.

« Abjecte », l’accusation l’est pour sûr. Mais Emmanuel Macron oublie un peu vite que ses propres troupes ont craché le même venin contre les voix qui se sont élevées contre le massacre à Gaza. « J’espère que cela fera prendre enfin conscience aux défenseurs de la première heure de Netanyahou de ce qu’est vraiment ce gouvernement d’extrême droite », réagit Léon Deffontaines, porte-parole du PCF, qui demande des sanctions rapides pour que « ni cette lettre d’insultes ni le massacre en cours ne restent impunis ».

« Il est honteux que Netanyahou instrumentalise l’antisémitisme comme une arme diplomatique », dénonce pour sa part la présidente du groupe LFI à l’Assemblée, Mathilde Panot, elle-même entendue pour « apologie du terrorisme » par la police du fait de la position de son parti à la suite du 7 octobre 2023. « Mais c’est un retour de bâton évident contre le président de la République et ses soutiens, qui n’ont eu de cesse de chercher à discréditer toutes les voix pour la paix et le droit international en les qualifiant d’antisémites. »

Une arme massivement utilisée par les macronistes pour stigmatiser la gauche

Cette rhétorique, qui est la première en réalité à faire la confusion volontaire entre Israël et juifs, remonte à bien avant le 7 octobre 2023. En 2022 déjà, alors que les députés de la Nupes déposent une résolution contre « l’apartheid en Israël », à l’initiative du communiste Jean-Paul Lecoq, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti accuse « l’extrême gauche » de nourrir l’antisémitisme, mêlant critique de la politique israélienne et haine des juifs. « Il y aurait donc un seul pays au monde dont on n’aurait pas le droit de critiquer la politique, dénonce alors Jean-Paul Lecoq dans l’Humanité. Ce n’est rendre service ni aux Israéliens ni aux juifs. »

Trois ans auparavant, en décembre 2019, le député macroniste Sylvain Maillard, soutenu par Emmanuel Macron dans sa démarche, avait déposé une proposition de loi pour faire rentrer l’antisionisme dans la définition de l’antisémitisme, ciblant explicitement les mouvements défendant le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.

Le choc des attaques terroristes du Hamas du 7 octobre 2023 n’a fait qu’accentuer ce discours. Au nom de l’émotion, il serait interdit de développer une pensée critique contre les bombardements israéliens menés par la suite. Ceux qui dénoncent le génocide à Gaza se voient depuis près de deux ans systématiquement opposer le « droit d’Israël à se défendre » et sont accusés de nourrir l’antisémitisme, le Hamas, ou les deux.

En février dernier, la ministre Aurore Bergé entretenait encore cet amalgame en reprochant à LFI, sur les ondes de Radio J, de développer « une obsession maladive d’Israël » qui « mettrait une cible dans le dos de nos concitoyens juifs ». Soit très exactement la même logique que celle aujourd’hui employée par Benyamin Netanyahou dans son courrier à l’Élysée : s’opposer à sa politique reviendrait à mettre en danger les Français de confession juive.

Au contraire, la gauche n’a cessé d’insister sur cette différence pour ne pas rendre les juifs de France comptables de la politique de Tel-Aviv. « C’est ce que fait Netanyahou qui affaiblit la lutte contre l’antisémitisme : d’assimiler tous les juifs à sa politique génocidaire », dénonce Mathilde Panot. Emmanuel Macron a lui-même plusieurs fois accrédité cette idée en mettant un trait d’égalité entre antisémitisme et antisionisme ou en déclarant lors d’un dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), en mars 2022, que « Jérusalem est la capitale éternelle du peuple juif », alors que Jérusalem-Est est occupée depuis 1967. Ou encore en invitant, en 2017, Benyamin Netanyahou au 75e anniversaire des commémorations de la rafle du Vél’d’Hiv – des associations juives de gauche avaient alors dénoncé un drôle de « mélange des genres » alors qu’il s’agit d’un crime « franco-français ».

L’extrême droite israélienne s’accommode bien de l’antisémitisme de ses alliés européens

Le premier ministre israélien a, du reste, moins de pudeurs à passer l’éponge sur l’antisémitisme – réel, cette fois – de certains de ses soutiens, comme le Hongrois Viktor Orbán, qui a mené une politique révisionniste en réhabilitant dans son pays le pro-nazi Miklos Horthy. Ni aucune honte à inviter une grande partie de l’extrême droite européenne, dont les Français Jordan Bardella et Marion Maréchal, à une grande « conférence contre l’antisémitisme », fin mars, en Israël.

Et maintenant, que va faire la France ? Pour la gauche, Paris ne peut pas se contenter d’une lettre salée en réponse. Encore moins reculer sur la reconnaissance de l’État de Palestine, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. Pour le communiste Léon Deffontaines, « il faut des sanctions, mais aussi réclamer la libération des prisonniers politiques palestiniens, comme Marwan Barghouti, et que cesse la colonisation en Cisjordanie ». Autrement dit, créer les conditions pour qu’un État palestinien puisse concrètement voir le jour, avec une cohérence territoriale.

Il est d’autant plus urgent d’accélérer sur la question que Benyamin Netanyahou et son ministre des Finances, Bezalel Smotrich, ont approuvé, ce 20 août, le plan de construction de colonies qui doit couper la Cisjordanie en deux. « L’État palestinien est en train d’être effacé, non pas par des slogans, mais par des actes », s’est réjoui Smotrich. Raison de plus pour que Paris réponde par des actes forts et non des slogans.

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