Le Venezuela consulte sa population dimanche pour annexer les deux tiers de son voisin le Guyana
Ce n’est pas le moindre des contentieux territoriaux. Caracas revendique depuis plus d’un siècle l'Essequibo, une zone de 160.000 km2 de son voisin le Guyana, ce qui correspond à deux fois la Guyane française ou presque un tiers de la France métropolitaine.
Pour le Guyana, ancienne colonie britannique et hollandaise et pays recouvert par une dense forêt tropicale, l'Essequibo représente plus des deux tiers de son territoire où vit environ un cinquième de sa population, soit quelque 125.000 personnes. C’est aussi un véritable eldorado pétrolier (le petit État extraira en 2025 près de 1 % de la demande mondiale). Et le Venezuela organise ce dimanche 3 décembre un référendum censé porter sur le rejet d'une décision de justice remontant à 1899 qui fixe la frontière du pays avec le Guyana.
Cette revendication vénézuélienne est devenue encore plus brûlante quand ExxonMobil, une société pétrolière américaine, a découvert des gisements dans l’ouest du pays en 2015. Une nouvelle découverte d'or noir a encore eu lieu le mois dernier dans l'Essequibo, s’ajoutant aux réserves déjà colossales du Guyana, d’au moins dix milliards de barils, soit plus que celles du Koweït ou des Émirats arabes unis.
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Les Vénézuéliens doivent se voir demander dimanche s'ils rejettent l'accord de 1899 qui leur aurait été «imposé de manière frauduleuse» et sur la création de «l’État de Guyana Essequiba». La consultation est censée porter aussi sur la question de savoir si le Venezuela doit continuer à rejeter toute compétence de la CIJ sur le différend et si le pays doit donner aux habitants du territoire la citoyenneté vénézuélienne.
Contestation à l’ONU
Le Guyana a logiquement protesté contre ce référendum qu’il a qualifié de «menace existentielle». Le pays a demandé à la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’ONU, de contraindre le Venezuela à arrêter «de toute urgence» le référendum «sous sa forme actuelle» et à s'abstenir de toute action visant à prendre le contrôle du territoire.
La CIJ, qui statue sur les différends entre États mais qui n’a pas le pouvoir d’appliquer ses décisions qui peuvent être juridiquement contraignantes, doit se prononcer ce vendredi. Le gouvernement du Guyana à Georgetown craint une annexion «unilatérale et illégale» et a même accusé son voisin d’avoir lancé des préparatifs militaires, ce que Caracas dément. «Le Venezuela réaffirme son rejet catégorique de l'action audacieuse du Guyana pour interférer dans ses affaires intérieures», a déclaré mi-novembre la vice-présidente vénézuélienne Delcy Rodriguez devant la CIJ. Elle a aussi pris le soin de souligner que sa présence ne signifiait pas que son pays reconnaissait la compétence de la juridiction dans cette affaire.
Armée brésilienne
S’il devait y avoir une éventuelle confrontation militaire, l’armée brésilienne, qui a déjà soutenu le Guyana, pourrait apporter de l’aide à son voisin, et l’emporter «en qualitatif et en quantitatif à la haute main», a analysé sur X Joseph Henrotin spécialiste des questions de stratégie militaire.
D’abord, la marine brésilienne surclasse la marine vénézuélienne, affirme le chercheur qui rappelle l’épisode invraisemblable en 2020 au cours duquel un patrouilleur vénézuélien avait coulé après avoir tenté une improbable et étonnante opération d’abordage d’un navire de croisière venant de Buenos Aires, comme le rapporte notamment Mer et Marine .
Ensuite, «la jungle est avec la haute montagne et les espaces urbains un des espaces les plus ’solides’ qui soit», autrement dit elle donne un avantage défensif redoutable au Guyana. Enfin, et selon la presse brésilienne, l’armée aurait déjà déployé en urgence des blindés et des unités dans la région. Le ministère brésilien de la Défense a annoncé par ailleurs ce mercredi qu'il avait «intensifié ses actions défensives dans la région frontalière du nord et augmenté sa présence militaire».
«Fuite en avant» de Maduro
Selon les observateurs, le gouvernement vénézuélien, outre les intérêts pétroliers, pourrait compter sur cette querelle pour aviver le sentiment patriotique, alors que la popularité du régime, qualifié de dictature par de nombreux pays occidentaux, est au plus bas (85 % des Vénézuéliens veulent un changement de pouvoir, selon un sondage Delphos, indique Courrier international ).
Le chef d’État vénézuélien Nicolas Maduro pourrait donc «tenter une fuite en avant», selon le correspondant à Caracas d’El País America, comme l’a aussi relevé Courrier international. «Il est très difficile de ne pas donner une interprétation électorale de ce processus», analyse-t-il aussi, alors que les primaires de l’opposition en octobre ont rencontré un important succès.
La gagnante de ces primaires, Maria Corina Machado, a par ailleurs qualifié le référendum de «distraction» avant l’élection présidentielle 2024. «Elle a réussi à capter l'attention des Vénézuéliens, ce qui inquiète beaucoup le camp chaviste», expliquait récemment au Figaro un politologue. La Cour suprême de justice, à la solde du pouvoir, a même annoncé l'annulation de la primaire.