Bétharram : la commission d’enquête dévoile 50 recommandations pour lutter contre les violences à l’école
On l’a vite résumée sous le nom de « commission Bétharram », tant l’établissement privé sous contrat des Pyrénées-Atlantiques est devenu un double symbole : des violences sur les élèves, et de la libération de la parole de celles et ceux qui les ont subies. Mais le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la « prévention des violences dans les établissements scolaires » et leur « contrôle par l’État », rendu public mercredi 2 juillet, porte bien au-delà des murs sinistres de Bétharram.
Quatre mois et demi, 56 heures d’auditions, 135 personnes entendues, des déplacements, des recherches d’archives… Les 300 pages du rapport rendent justice à cet intense travail collectif. Il se lit comme un récit, une plongée impressionnante, détaillée et courageuse au cœur de ce qu’on ne voulait pas voir jusqu’à présent : un système – une culture même – de la violence et de la domination exercées sur les enfants. Et il affiche aussi, en alignant 50 recommandations dans ce but, la volonté que la France se donne enfin les moyens d’en finir avec cette abomination.
L’imager des établissements constitue la valeur suprême
Ce que les co-rapporteurs, Violette Spillebout (EPR) et Paul Vannier (LFI), mettent au grand jour, c’est une certaine conception de l’éducation, partant de la « gifle éducative » – encore revendiquée par le Premier ministre François Bayrou lors de son audition par la commission – pour aller jusqu’à de véritables tortures physiques, des atteintes sexuelles, des viols, commis sur des enfants.
Une conception datée – la première circulaire proscrivant la « fin des vieilles pénalités physiques » a été émise en 1890 – mais persistante, qui témoigne au final du statut réel de l’enfant dans nos sociétés. L’école, pensée au moins depuis la Libération comme un lieu d’émancipation et de construction d’adultes libres, est restée concomitamment un lieu de domination des enfants par les adultes à qui ils étaient confiés. Entendre aujourd’hui des invocations au « retour à l’autorité » présenté comme remède aux maux de la société, depuis Gabriel Attal jusqu’à la droite la plus conservatrice, n’a à cet égard rien de rassurant.
Ces structures de pensée sont restées encore plus vives dans l’enseignement privé. Il n’y a pas de hasard au fait que tous les collectifs de victimes, dont les témoignages sont à la base de la création de la commission d’enquête, émanent d’anciens élèves d’établissement confessionnels catholiques. On peut, pour l’expliquer, faire référence à une culture de l’obéissance, poutre maîtresse de l’Église.
Mais ce n’est qu’une partie de l’explication. Le rapport montre les effets de structure. Celle de l’enseignement catholique, où s’entremêlent une forme de cogestion entre parents d’élèves et associations de gestion des établissements, souvent les mêmes personnes, sous le regard complice de réseaux de notables locaux et celui, distant ou complaisant, des autorités de tutelle : évêchés ou congrégations. Pour tous, l’image des établissements constitue la valeur suprême… parce qu’elle est la condition économique de leur existence. Quoi qu’il se passe derrière leurs murs.
Un tableau inquiétant
Mais aussi les structures de l’État, chargé du contrôle de tous les établissements – publics comme privés, sous contrat ou hors contrat – dont les défaillances sont pointées du doigt : contrôles insuffisants voire inexistants, complaisances multiples, dispositifs de prévention insuffisamment déployés, prise en charge défaillante des signalements et insuffisance de protection des personnels lanceurs d’alerte… Le tableau dressé est catastrophique, et inquiétant quant à l’existence réelle d’une volonté d’en finir avec ces crimes.
Pour donner aux enfants la protection effective à laquelle ils ont droit, le rapport liste donc 50 recommandations, selon plusieurs axes. Premièrement, la reconnaissance due aux victimes, avec en particulier la création d’un fonds d’indemnisation manifestant la reconnaissance par l’État de sa responsabilité. Un travail sur les délais des prescriptions des faits, la plupart de ceux aujourd’hui connus étant prescrits, est également préconisé.
Deuxième axe, « protéger les élèves » : interdiction effective des châtiments corporels, contrôle d’honorabilité au recrutement et suivi administratif des personnels, circulation des informations entre les différentes administrations et ministères…
L’accent est mis sur le rôle, pour la prévention et la prise en charge des violences dans les établissements, du personnel médico-social : les co-rapporteurs demandent « un plan pluriannuel de recrutement », et aussi un meilleur financement pour les associations qui interviennent dans le domaine de la prévention. Autre proposition, qui risque de générer des réactions fortes : la levée du secret de la confession, dans les cas de violences sur mineurs de moins de 15 ans.
Un rapport incontournable
Tout un pan de ces recommandations porte sur le contrôle des établissements, en particulier l’inscription dans le Code de l’éducation d’un contrôle tous les cinq ans pour les établissements privés, et le transfert au recteur – au lieu du préfet – des compétences pour signer ou résilier les contrats d’association, avec une gradation des sanctions selon la nature des manquements constatés qui serait inscrite dans la loi.
Des contrôles spécifiques pour les internats sont aussi préconisés, ou encore de conférer à l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) une capacité d’autosaisine qui la rendrait plus indépendante du pouvoir hiérarchique et politique. On y verra la traduction de l’affaire Stanislas, dont le rapport d’inspection avait été édulcoré par la cheffe de l’IGESR de l’époque, devenue depuis n°2 du ministère, Caroline Pascal.
Un rapport incontournable, des recommandations sérieuses et complètes : reste à voir, à présent, si tout ce travail finira, comme d’autres avant lui, dans un tiroir, ou s’il se traduira en actes. L’engagement des deux co-rapporteurs, dont la cohésion a su résister jusqu’au bout à toutes les secousses partisanes, à vouloir transcrire rapidement leur rapport en une proposition de loi transpartisane, constitue un motif d’espoir. Reste à espérer que la responsabilité d’accorder aux enfants la protection qui leur est due sera bien partagée par toutes les forces politiques.
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