Paris-Roubaix 2025 : courses centenaires, palmarès d'exception, parcours mythique... D'où vient l'appellation des Monuments du cyclisme ?
Ils sont attendus par les fans, mythiques pour les anciens, et vénérés par les coureurs. Ils sont une caste à part et pourtant, ils n'ont longtemps rien eu d'officiel. C'est tout le paradoxe des Monuments, les courses d'un jour les plus prestigieuses du cyclisme. Milan-San Remo, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie : ces cinq-là sont les Monuments, mais ont mis du temps à le devenir.
L'appellation est apparue sous la plume du journaliste Jacques Godet en 1950, qui avait célébré la victoire de Fausto Coppi dans l'Enfer du Nord en parlant de "Monument du cyclisme international". Mais ce n'est qu'au tournant des années 2000 que le terme de Monument s'est ancré dans la culture populaire, remplaçant le terme de "grande classique". "C'est une appellation qui est arrivée par plusieurs journalistes en disant : 'Ces épreuves-là, ce sont des Monuments'. Ensuite, c'est quasiment devenu une appellation officielle. Quand on parle de Monuments, aujourd'hui, on sait ce que c'est", rembobine Pascal Sergent, historien du cyclisme.
Histoire, palmarès, parcours
Mais alors, pourquoi ces cinq-là alors qu'il existe des dizaines de courses dans le calendrier ? "Parce que ce sont des épreuves qui ont été pour la plupart créées à la fin du XIXe siècle. Donc, il y a une véritable histoire", poursuit celui qui est aujourd'hui président de l'Association des Amis de Paris-Roubaix. Doyenne des courses, Liège-Bastogne-Liège a été créée en 1892, quelques années avant Paris-Roubaix (1896). Le Tour de Lombardie (1905), Milan-San Remo (1907) puis le Tour des Flandres (1913) ont suivi, puis survécu aux guerres, à l'évolution du cyclisme et des calendriers. "La victoire du premier Belge, Cyrille van Hauwaert, sur Paris-Roubaix en 1908, a créé un véritable engouement dans les Flandres. C'est à la suite de ses exploits qu'est créé le Tour des Flandres. Donc tout est un peu lié", poursuit Pascal Sergent.
Si la fédération internationale (UCI) leur attribue désormais une catégorie à part, en dessous des trois Grands Tours mais au-dessus de toutes les autres courses, leur définition ne demeure pas légalement établie. Mais les contours en sont connus : un palmarès étoffé, une longue histoire et un parcours mythique. À ce titre, ces cinq-là cochent toutes les cases. Et prendre le départ d'une d'entre elles permet d'humer un parfum différent, celui d'appartenir à l'Histoire, avec au bout des plus de 250 kilomètres – un dénominateur commun aux Monuments – la possibilité d'apposer son nom auprès des plus grands.
"Il y a toujours une effervescence très particulière au départ des Monuments, quelque chose d'assez solennel qui les distingue des autres courses. C'est une espèce de chape de plomb", se replonge Yoann Offredo, qui a participé à 23 Monuments entre 2008 et 2018. "Ce sont des épreuves qui se sont forgé une légende. Il y a un Milan-San Remo qui est gagné par Eugène Christophe sous la neige en 1910, où seuls quatre coureurs terminent. Ce ne sont que des très grands champions qui figurent sur le livre d'or de ces classiques, notamment de Paris-Roubaix. C'est cette ambiance de difficultés, de palmarès qui fait que ça devient des épreuves à gagner", poursuit Pascal Sergent.
Au milieu de ces cinq Monuments, une hiérarchie existe-t-elle pour les coureurs ? Si chacun a son mythe bien personnel, l'un d'entre eux a peut-être une place à part, et son surnom de "Reine des classiques" donne un indice. "Paris-Roubaix, ça reste la plus belle par son histoire, sa difficulté, son identité très télégénique quand il y a de la poussière, de l'humidité, le visage des coureurs marqué par la fatigue. Et puis à courir, c'est quelque chose d'extraordinaire. C'est un mélange entre de l'excitation, de la souffrance, de l'adrénaline. À chaque secteur pavé, quand tu vois l'hélico au-dessus de toi, les motos, les spectateurs qui s'écartent vraiment au dernier moment, c'est vraiment quelque chose de très spécial", estime notre consultant Yoann Offredo, 14e pour sa dernière participation en 2017.
"En petit comité, quand il n'était pas dans les Flandres, Tom Boonen disait qu'il préférait Paris-Roubaix. Mais il ne l'a jamais dit publiquement. Parce que sinon, il se serait fait lyncher en Belgique."
Pascal Sergent, historien du cyclismeà franceinfo: sport
Un détail propre à l'Enfer du Nord illustre le propos de notre consultant. "Tu as des coureurs qui ont la gueule de travers, qui terminent Paris-Roubaix, même hors délai, qui sont obligés de se faire ouvrir les grilles du vélodrome. Je pense que jamais sur aucune course, tu ne verras un mec faire ça : arriver vingt minutes après les délais et demander quand même à passer la ligne. Jamais. Ni à Milan-San Remo, ni à Liège, ni au Lombardie, ni au Flandres", appuie Yoann Offredo. En 2018, le Lituanien Evaldas Siskevicius, arrivé à une heure après le vainqueur Peter Sagan, avait demandé à rouvrir le Vélodrome, alors déserté, pour franchir la ligne.
Les Strade Bianche, candidat presque idoine
Bien lovés dans le calendrier et dans le cœur des fans, ces cinq Monuments sont-ils pour autant immuables ? "On a pensé il y a quelques années que l'Amstel Gold Race allait intégrer ce club. Il y a bien sûr Gand-Wevelgem, la Flèche Wallonne, sans oublier le Het Nieuwsblad, qui était une référence pour beaucoup de monde", énumère Pascal Sergent.
Pourtant, une course a relancé le débat : les Strade Bianche, l'une des plus spectaculaires des dernières années. "Je ne suis pas du tout favorable à rajouter des Monuments mais les Strade Bianche, c'est l'exception. Elle a tous les ingrédients : sa difficulté, sa beauté, son arrivée, son palmarès qui est en train de s'écrire de manière incroyable. Donc peut-être que dans quelques années, ça sera l'exception qui confirme la règle et on viendra rajouter un sixième Monument", avance Yoann Offredo. "Tout peut évoluer. Par exemple, le Liège-Bastogne-Liège dans les années 30, ce n'était pas celui d'aujourd'hui", ajoute l'historien du cyclisme.
Une course désormais propriété d'un certain Tadej Pogacar depuis deux éditions. Le Slovène, qui compte déjà huit Monuments (quatre Tour de Lombardie, deux Liège-Bastogne-Liège, deux Tour des Flandres), tourne encore autour de Milan-San Remo, et va s'attaquer pour la première fois à Paris-Roubaix dimanche.
Sera-t-il le quatrième, seulement, à remporter un jour les cinq Monuments, après Eddy Merckx, Roger de Vlaeminck et Rik van Looy ? "Je ne vois que lui. Parce que je ne vois pas Mathieu van der Poel [trois Tours des Flandres, deux Paris-Roubaix et Milan-San Remo] s'imposer sur le Lombardie. S'il y en a un qui a l'étoffe de se rajouter à la liste, c'est bien Pogacar", conclut Yoann Offredo.