REPORTAGE. "Faire quelque chose de notre colère" : en Ardèche, des citoyens s'organisent en vue du mouvement "Bloquons tout le 10 septembre"

Une première main se lève, puis une deuxième, une troisième... Une courte présentation et des idées qui fusent : bloquer un supermarché, retirer l'argent des banques, trouver un lieu de rassemblement. Certains notent, d'autres distribuent la parole, demandent de parler plus fort ; tout le monde donne son avis d'un geste des deux mains. C'est ainsi qu'une assemblée populaire s'est constituée, mercredi 27 août, sur la place principale d'Annonay (Ardèche), avec une organisation encore hésitante, mais un mot d'ordre bien établi : tout bloquer le 10 septembre. Les sympathisants du mouvement "Bloquons tout" se sont donné rendez-vous à 17 heures, dans cette commune de 17 000 habitants tout au nord de l'Ardèche, après deux semaines à converser derrière des pseudos sur des messageries privées.

Certains se connaissent ou se sont croisés en manif'. D'autres débarquent sans connaître personne. Il y a beaucoup de trentenaires et de quadragénaires, quelques lycéens qui n'ont pas encore repris les cours, des plus âgés aussi. Certains sont actifs au sein d'organisations syndicales (CGT, Confédération paysanne), quand d'autres étaient dans la rue en 2018 lors du mouvement des "gilets jaunes". La cinquantaine de citoyens rassemblés ici, parmi lesquels des fonctionnaires, des agriculteurs et des membres impliqués dans le monde associatif, pense déjà au grand jour : ce 10 septembre où ils espèrent faire bouger les choses à Annonay, à l'instar des très nombreux collectifs qui essaiment un peu partout en France.

Cagnotte, tracts et débat

Après une premier temps d'échange collectif, chacun assis par terre, des premiers groupes se forment. Plusieurs propositions émergent : organiser une cagnotte, imprimer des tracts avec les revendications du collectif, aller voir les gens, débattre, se former. Et s'il fallait un signe distinctif pour marquer le coup, s'interroge un homme, qui suggère le fameux "gilet jaune" ? "Car au fond, qu'est-ce qui nous différencie d'eux ?", se demande-t-il, alors que la référence au mouvement qui avait secoué la France au début du premier quinquennat d'Emmanuel Macron revient parfois dans les discussions. A ses côtés, une autre militante rebondit.

"Tout le monde connaît quelqu'un qui galère, et cette galère, ce n'est ni le gouvernement ni [le milliardaire Vincent] Bolloré qui la ressentent. Ce système dysfonctionne et on veut nous faire croire qu'on est responsables."

Une sympathisante du mouvement

à franceinfo

A Annonay, comme sur les réseaux sociaux, le gouvernement de François Bayrou, qui pourrait tomber deux jours avant le 10 septembre, le président de la République ou encore les ultrariches cristallisent les critiques des sympathisants du mouvement, aux origines difficilement identifiables et auquel la gauche et certains syndicats se sont ralliés, tandis que l'extrême droite s'en est rapidement désolidarisée.

Les différents sympathisants interrogés mercredi à Annonay s'identifient dans les valeurs de gauche, même si le mouvement se veut "apartisan", dénoncent le budget d'austérité voulu par le Premier ministre, défendent les services publics et s'inquiètent de la crise climatique. Une partie se méfie aussi des journalistes et des médias grand public – la présence de franceinfo à la rencontre a fait débat – qui pourraient décrédibiliser le mouvement, selon certains. "Dans le mouvement 'Indignons-nous' [le plus structuré au niveau national et local sur le réseau Telegram], il y a le mot dignité", dit Camille*, un ouvrier agricole. Il cite, parmi ses griefs, la guerre menée par Israël à Gaza ou la suppression de deux jours fériés proposée par François Bayrou.

"Viser ce qui symbolise la puissance économique"

C'est lui qui a ouvert l'assemblée populaire. Lui aussi qui propose, dans le groupe de parole dédié à l'organisation spécifique du 10 septembre, de "faire une agora" sur la place d'Annonay pour élargir le mouvement et parler aux curieux. "Des manifestations, on en fait tout le temps, et on voit bien que ça ne marche pas. Le but, c'est de bloquer, tout bloquer", suggère un militant. Une femme acquiesce, mais prévient : "Il faut penser à des actions contre le gouvernement, sinon on va juste faire mal aux gens." Certains proposent de bloquer le supermarché du coin, d'autres de ne pas emmener les enfants à l'école ce jour-là ou d'occuper les péages d'autoroute pour les rendre gratuits.

Des tracts rassemblent les idées issues de l'assemblée populaire organisée à Annonay (Ardèche), le 27 août 2025, en vue du mouvement "Bloquons tout le 10 septembre". (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)
Des tracts rassemblent les idées issues de l'assemblée populaire organisée à Annonay (Ardèche), le 27 août 2025, en vue du mouvement "Bloquons tout le 10 septembre". (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

"Il faut viser ce qui symbolise la puissance économique", lance une voix dans l'assemblée, pendant qu'une femme propulsée animatrice distribue la parole et désigne ses camarades par un prénom ou un signe distinctif. "On essaie simplement de refaire de la politique par le bas, au niveau de nos communes", glisse Alexis* au sujet de cette première assemblée sans chef ni porte-parole, avec seulement quelques banderoles et des bombes de peinture en guise de matériel. "Car il n'y a pas grand-chose de démocratique dans notre système actuel", juge-t-il. "C'est déjà une prouesse que cette rencontre existe", estime celui qui travaille dans l'Education nationale et qui voit dans cette mobilisation une manière de dire stop à un monde "qui ressemble déjà à une dystopie".

"On nous dit que la guerre se prépare, la pauvreté explose, les vagues de chaleur s'accumulent et les inégalités se creusent. Alors cette colère, on va essayer d'en faire quelque chose."

Alexis*

à franceinfo

Le prochain rendez-vous a été fixé à samedi, le troisième mercredi prochain. Objectif : continuer à définir les grandes lignes du mouvement et préciser les revendications. D'ici là, le collectif ardéchois se retrouvera sur les messageries privées pour débriefer cette première rencontre. "Le 10 septembre, c'est juste un début", prévient Titouan, 17 ans.

* Les prénoms ont été changés