"Une première étape" pour la CGT, "pas notre méthode" pour la CFDT : à l'approche du 10 septembre, les syndicats partagés et hésitants face au mouvement

Face aux appels à "tout bloquer", les syndicats sont loin de faire bloc. A l'approche d'une rentrée politique et sociale particulièrement chargée, plusieurs organisations syndicales s'interrogent encore sur la meilleure façon d'agir contre le projet de budget du gouvernement, et la position à adopter au sujet du mouvement du 10 septembre. Mercredi 27 août, la CGT a franchi un pas en annonçant son souhait de faire de cette journée "une première étape réussie" d'une contestation plus vaste. "Un mouvement citoyen a émergé contre la violence sociale et c'est une très bonne nouvelle", a déclaré à l'AFP le secrétaire confédéral Thomas Vacheron à propos des appels à bloquer le pays, qui ont fleuri sur les réseaux sociaux. La secrétaire générale, Sophie Binet, s'était montrée prudente, cinq jours plus tôt sur France Inter : elle avait jugé le mouvement "nébuleux" et redouté un "noyautage de l'extrême droite".

"La CGT a décidé de contribuer à [la] réussite [du mouvement du 10 septembre] à partir des entreprises, et de débattre avec les salariés de la grève, en assemblée générale et en réunion d'information", a finalement expliqué Thomas Vacheron. Cette annonce intervient avant même une réunion intersyndicale organisée vendredi, qui réunira la CFDT, la CGT, FO, la CFTC, la CFE-CGC, FSU et Solidaires. Les discussions porteront largement sur le mouvement du 10 septembre, mais les chances qu'ils aboutissent à une position commune paraissent minces. Ainsi, la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, exclut déjà d'apporter un soutien à cet appel à paralyser la France : "Les modes d'action privilégiés ne sont pas les nôtres. Tout bloquer, la désobéissance, ce n'est pas la méthode CFDT", déclare-t-elle au Monde.

"Qui est vraiment représenté dans ce mouvement ?"

Comme la CGT, le bureau national du syndicat Solidaires a apporté son soutien au mouvement mercredi, après avoir été sollicité par ses fédérations. "Nous ne sommes pas là pour récupérer le mouvement du 10 septembre, qui aura sa propre vie", explique à franceinfo Julie Ferrua, codéléguée nationale. "Mais nous sommes un outil pour les salariés qui souhaitent se mettre en grève", notamment en fournissant une plateforme de revendications, obligatoire pour les grèves. La responsable estime par ailleurs que plusieurs revendications du "10" portent sur la redistribution des richesses, un thème cher au syndicat. 

Certaines fédérations de la CGT, elles aussi, se sont rapidement positionnées, sans attendre l'aval de la confédération. "Ça risque de bouger chez Carrefour", déclare auprès de franceinfo Patrick Ait-Aissa, délégué CGT national des hypermarchés du groupe. Le délégué privilégie notamment des "blocages" de magasins du groupe, qui emploient près de 75 000 salariés (et 95 000 dans les magasins en franchise ou en location-gérance). "Entre guillemets, bien sûr, car nous n'avons pas le droit juridique de bloquer l'accès. Mais plus on arrivera à limiter les modes de consommation usuels, mieux ce sera."

"Nous laisserons la base s'organiser comme elle l'entend, soit individuellement, soit au niveau local et départemental."

Patrick Ait-Aissa, délégué CGT national des hypermarchés Carrefour

à franceinfo

Des boucles Telegram bruissent d'appels à boycotter la carte bancaire ou à perturber les péages autoroutiers. "Le propre de ce mouvement, c'est qu'il n'est pas initié par la CGT ou quelconque organisation politique", poursuit Patrick Ait-Aissa, "et on appelle au mode d'action le plus commun". Plusieurs appels anonymes invitent également à reprendre les ronds-points, comme lors de l'épisode des "gilets jaunes" en 2018. Ces mots d'ordre expriment parfois une vive hostilité contre les organisations syndicales, accusées de vouloir récupérer le mouvement. "C'est possible, on l'a déjà vécu à l'époque du mouvement des 'gilets jaunes'. Mais on ne peut pas parler d'union entre tous et avoir peur de ce genre de choses."

L'Unsa, quant à elle, affiche une certaine prudence à l'égard de ces appels à la contestation postés en ligne. "Les modalités du 10 septembre ont été lancées par on-ne-sait-qui sur les réseaux sociaux, et cela pose des questions sur la traçabilité", estime auprès de franceinfo Fabrice Charrière, secrétaire général de l'UNSA-Ferroviaire. Ce n'est "pas forcément notre manière d'agir", fait-il aussi valoir. "Nous, on essaie de discuter et l'action est la phase ultime, pour marquer l'échec des négociations." Le responsable syndical attend la réunion intersyndicale de vendredi pour en apprendre davantage.

"Si ce mouvement fait le buzz", concède Fabrice Charrière, "c'est qu'il existe un réel mécontentement sur de nombreuses problématiques, et il faut prendre en compte le ressenti des gens." Mais l'anonymat et les discours antisyndicaux le questionnent également. "Je ne crois pas qu'on puisse révolutionner la démocratie sociale en France, au niveau des syndicats et de la représentativité", résume-t-il. "Quelle légitimité pour quelqu'un qui parle sans avoir été élu ? Qui est le porte-parole de qui ? Qui est vraiment représenté [dans ce mouvement] ?" Le contexte politique, enfin, est encore susceptible d'évoluer, après le vote de confiance du 8 septembre.

Vers une journée commune de manifestations 

Les appels à la "grève générale" du leader insoumis Jean-Luc Mélenchon ont également pu crisper les organisations syndicales. "S'il a le pouvoir d'appuyer sur un bouton pour déclencher la grève générale, bravo à lui", ironise Fabrice Charrière, rappelant qu'une plateforme de revendications était un préalable impératif à de telles mobilisations. "Aucune organisation syndicale, aussi grande soit-elle, n'a pu décider d'une grève générale."

Frédéric Souillot, secrétaire général de Force ouvrière, a, lui aussi, déclaré qu'il se tenait "à distance" du mouvement, dans un entretien à l'AFP. Le responsable ajoutait qu'il n'était "pas sûr que dans tous les groupes qui appellent à se mobiliser le 10 septembre, il y ait des groupes qui veulent tous des organisations syndicales représentatives". La position de son syndicat doit être arrêté lors de l'intersyndicale de vendredi. Cela n'interdit pas des initiatives locales : l'union FO-Cheminots Gard-Cévennes a ainsi annoncé son soutien au mouvement de colère, avec un appel à la grève.

Alors que des comptes d'extrême droite figurent parmi les premiers relais en ligne du mouvement, Solidaires s'est fixé pour ligne rouge de ne pas rejoindre les appels aux accents racistes, antisémites ou islamophobes, ou qui stigmatiseraient l'immigration. "Mais sur cet aspect, on a vu des réponses rassurantes dans les boucles Telegram qui circulent." Au CHU de Toulouse, par exemple, CGT et Sud vont appeler à un point d'arrêt du travail pour discuter du projet de budget du gouvernement, explique Julie Ferrua. "J'ai vu passer des messages imaginant des buffets entre voisins ou des boycotts de la consommation. C'est bien de sortir de nos habitudes syndicales, je pense que ce mouvement sera encore plus innovant que celui des 'gilets jaunes'".

Qu'ils soutiennent ou non les actions de blocage lancées sur les réseaux sociaux, les syndicats pourraient a minima s'entendre sur une journée de mobilisation commune. La secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, a déjà fait savoir à la presse qu'elle comptait proposer une date pour le mois de septembre, sous la forme classique d'une manifestation. La CGT est également favorable "à une journée interprofessionnelle unitaire de mobilisation, de grève et de manifestations", précise un communiqué de la centrale. Ce qui augure une rentrée sociale à plusieurs niveaux, sur les ronds-points et dans les cortèges.