TEMOIGNAGES. "On ne peut compter que sur nous-mêmes" : aux Etats-Unis, des personnes trans s'arment face aux discours transphobes de Donald Trump
"Dire que j'ai peur est un euphémisme." En cette journée glaciale à Washington, Daria défile derrière le drapeau de la communauté trans, aux côtés de sa compagne, Frances, et de milliers d'autres personnes opposées à Donald Trump. La "Marche du peuple" avance vers le mémorial Lincoln, samedi 18 janvier, à deux jours du retour au pouvoir d'un président populiste et ouvertement transphobe.
Au fil des meetings, le républicain et son camp n'ont cessé de marteler des attaques ciblant les personnes trans aux Etats-Unis, allant jusqu'à dépenser 35 millions de dollars pour des publicités transphobes, en seulement deux mois. "J'ai l'impression que mon propre pays me hait", souffle Daria, 38 ans. Depuis l'élection, elle emporte partout un spray au poivre et songe à prendre des cours d'arts martiaux. "Je pense aussi à obtenir un permis pour le port d'une arme dissimulée", poursuit l'Américaine, de la colère dans la voix. "J'achèterai peut-être une arme si j'en ai absolument besoin."

A l'approche d'une nouvelle présidence Trump, de plus en plus d'Américains LGBT+, en particulier des personnes trans, rejoignent des clubs de tir et groupes de propriétaires d'armes à feu, dans l'espoir d'apprendre à se défendre. En Californie, le club de tir LA Progressive Shooters accueille depuis ses débuts des membres racisés et LGBT+. Auprès du quotidien britannique The Guardian, son directeur, Tom Nguyen, témoigne avoir reçu "davantage de demandes de réservations chaque jour depuis l'élection qu'au cours des quatre dernières années". Son cours pour débutants affiche complet jusqu'en juin.
L'arme à feu, "un dernier recours"
Le groupe américain Pink Pistols, dédié aux propriétaires d'armes à feu LGBT+, a ouvert six nouvelles sections locales depuis la victoire de Donald Trump, le matin du 6 novembre. Caspian, 35 ans et de grandes lunettes, a rejoint le groupe à l'automne dans le nord de la Virginie, incité par "le climat politique" et transphobe de la campagne présidentielle. "Je n'ai jamais été anti-armes à feu, mais je n'avais jamais pensé en avoir une", raconte-t-il. Son point de vue a changé peu avant l'élection.
"Des amis ont commencé à recevoir des menaces. L'un d'entre eux a été attaqué au Texas. Cela m'a fait réfléchir."
Caspianà franceinfo
Caspian découvre Pink Pistols par le biais d'un ami et voit, en ligne, des messages d'autres personnes trans "réfléchissant" à porter une arme à feu. "Plus on approchait de l'élection, plus on voyait ce genre de messages", relate le trentenaire. Il décide de franchir le pas, "apeuré et blessé" par la rhétorique transphobe des républicains. "Ces hommes politiques, ces personnes vers lesquelles vous pensez pouvoir vous tourner si vous avez besoin d'aide sont en réalité contre vous. C'est très effrayant."
Depuis qu'il a rejoint Pink Pistols, Caspian a suivi cinq cours de tir, "un investissement" de plusieurs centaines de dollars. Il a aussi acheté sa propre arme à feu en tout début d'année, et s'entraîne désormais une fois par semaine près de chez lui. Il assure que cette arme est "un dernier recours", une option, "uniquement s['il a] peur pour [sa] vie".
Se sent-il pour autant plus en sécurité ? "Si j'ai besoin de me défendre, j'ai un outil pour le faire. Je me sens prêt si quelque chose de grave se produit, expose Caspian. Mais je dois aussi me préparer au fait que je pourrais prendre la vie de quelqu'un et aller en prison. Si vous tuez quelqu'un, comment vivez-vous avec ça ?"
"Il est devenu acceptable de nous faire du mal"
L'obsession transphobe des derniers mois a aussi transformé l'association de Madeline Shearman, un petit groupe informel réunissant des propriétaires d'armes à feu LGBT+ en Pennsylvanie. Il y a un an, "nous étions deux, puis une vingtaine cet été", retrace cette pharmacienne, collectionneuse de "plus de 50 armes" et fervent soutien du deuxième amendement permettant le port d'arme. "Depuis l'élection, nous avons accueilli entre 20 et 30 membres supplémentaires", dénombre-t-elle. Majoritairement des personnes trans et non binaires, "et principalement des personnes qui étaient contre le port d'arme".
Le groupe de Madeline Shearman les conseille, les accompagne pour l'achat d'une arme, les guide au stand de tir. "Nos nouveaux membres ont peur. Ils ont peur de prendre les transports en commun, peur d'être attaqués", martèle-t-elle. La trentenaire garde à l'esprit le moment précis de l'élection de Donald Trump. "Les membres de notre groupe étaient stupéfaits. Beaucoup de gens ont pleuré. Ils ont eu le sentiment qu'on leur retirait leur sécurité."
Madeline Shearman, qui a appris à tirer à l'adolescence et détient une arme depuis ses 28 ans, change elle aussi ses habitudes. "Je fais davantage attention à ce qui m'entoure", observe-t-elle. "Avant, je n'emportais mon arme que dans des endroits inconnus, ou tard la nuit." Désormais, "j'ai toujours mon arme avec moi" en Pennsylvanie, là où elle dispose d'un permis. "Elle peut être sur moi, dans mon sac ou dans ma voiture."
"Je n'ai pas peur, car j'ai cette protection à mes côtés. Si le pire devait arriver, je peux me protéger. C'est très important."
Madeline Shearman, propriétaire d'armes à feuà franceinfo
A l'aube d'une nouvelle ère Trump, l'Américaine craint d'être la cible d'attaques d'hommes et de femmes "encouragés" par les paroles transphobes du pouvoir. "Il est devenu acceptable de nous faire du mal. Nous ne pouvons pas compter sur nos concitoyens pour nous protéger. On ne peut compter que sur nous-mêmes."
Madeline Shearman a vécu la rhétorique du camp républicain comme "un coup de poing", une douleur qu'elle décrit comme "physique". Elle-même républicaine, elle a voté à deux reprises pour Donald Trump, en 2016 et 2020. Ses discours anti-trans, "une trahison", l'ont poussée à voter démocrate, l'an dernier, pour la première fois de sa vie.