"Il fixe les règles" : avant même son investiture, Donald Trump a imposé son rythme aux Etats-Unis

"Il n'est pas encore en fonction, mais c'est tout comme." Avant son investiture officielle comme président des Etats-Unis, lundi 20 janvier, l'influence de Donald Trump "a plané à Washington et partout ailleurs", résume David Smith, chef du bureau du quotidien britannique The Guardian dans la capitale américaine. Depuis son élection, le 5 novembre, le milliardaire a occupé l'espace politique et médiatique, multipliant les déclarations et les menaces, annonçant la couleur de son second mandat à la Maison Blanche.

Durant cette traditionnelle période de transition entre deux chefs d'Etat, "Joe Biden a totalement disparu, ou presque, au profit de Donald Trump", remarque Lauric Henneton, maître de conférences à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Discret, mais pas inactif, le très impopulaire démocrate a accordé des grâces présidentielles, dont une à son fils Hunter, augmenté certaines prestations sociales, effacé des dettes étudiantes et engagé de nouvelles aides à l'Ukraine. Joe Biden a "protégé certaines personnes, récompensé d'autres, bref, soldé les comptes de son administration avant ce qu'il considère comme une sorte d'éclipse trumpiste", poursuit Lauric Henneton.

Des méthodes "chaotiques et tapageuses"

Donald Trump, lui, aborde son second mandat "enhardi", selon David Smith. "En 2016, sa victoire avait surpris tout le monde, y compris lui-même. Cette fois, il s'y attendait."  Le milliardaire s'est montré particulièrement "flamboyant" avant son investiture, cherchant à "concentrer toute l'attention des médias", selon Hans Noel, professeur de sciences politiques à l'université Georgetown, à Washington.

Donald Trump donne une conférence de presse à Mar-a-Lago, en Floride (Etats-Unis), le 7 janvier 2025. (SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Sa conférence de presse sur la politique internationale, le 7 janvier, en témoigne. Il a alors successivement abordé l'idée de renommer le golfe du Mexique et la possibilité d'annexer le canal du Panama et le Groenland. Dans son habituel rejet des conventions, le président élu "a abandonné la coutume consistant à rester discret, face à un président sortant toujours en exercice", résume David Smith.

Ce n'est pas le seul protocole dont le milliardaire s'est affranchi. Jusqu'à fin novembre, il a refusé de signer les engagements éthiques et autres documents juridiques, habituellement paraphés par les candidats à la présidence des Etats-Unis avant même le scrutin. Il a aussi longtemps rechigné à laisser le FBI vérifier les antécédents des futurs membres de son administration. "Ce retard n'aura pas forcément de conséquences, mais il illustre la manière dont Donald Trump fait tout : chaotique et tapageuse", analyse Hans Noel.

"Non seulement Donald Trump n'a pas confiance dans les institutions et l'ordre établi, mais en plus il s'en moque."

Hans Noel, politologue

à franceinfo

Pour preuve, ses choix de futurs ministres. En 2016, son "manque de préparation" pour gouverner lui avait valu de "devoir improviser et faire des compromis" avec la vieille garde du Parti républicain, souligne Lauric Henneton. Les désaccords au sein de l'administration avaient mené à une série de démissions et de limogeages dans les premiers mois, mais aussi à une forme de "résistance" au sein de son propre gouvernement. "Des collaborateurs enlevaient certains documents de son bureau" et d'autres responsables, "choqués de ses méthodes", organisaient des fuites dans la presse, se remémore David Smith.

Des "ballons d'essai" avant de revenir au pouvoir

Cette fois, son élection a été très vite suivie par "un tourbillon de nominations, d'abord plutôt cohérentes – sa conseillère Susan Wiles comme cheffe de cabinet, le sénateur Marco Rubio comme secrétaire d'Etat", détaille Lauric Henneton. Puis sont venus les "trublions" : Robert Kennedy Jr., antivax assumé, à la Santé, Tulsi Gabbard, ancienne démocrate pro-russe, à la tête du renseignement, ou encore l'ex-patronne de la fédération américaine de catch, Linda McMahon, à l'Education.

"Le niveau de compétence de cette administration est bien moindre par rapport à celle de 2016 : plusieurs des responsables choisis par Donald Trump ne sont absolument pas qualifiés pour les fonctions qu'on leur a attribuées", critique David Smith, qui juge par ailleurs ces nominations "plus extrêmes" qu'il y a huit ans. Car la priorité du milliardaire est, cette fois, de s'entourer de collaborateurs "loyaux"

"Les nominations sont décidées en fonction de qui provoquera le plus d'indignation chez les démocrates, de qui ira le plus loin pour mettre en œuvre la volonté du président."

David Smith, chef du bureau du "Guardian" à Washington

à franceinfo

Son premier choix pour la justice a en revanche été un échec. Annoncé comme le futur procureur général (équivalent du garde des Sceaux), Matt Gaetz a été contraint de se retirer après une polémique sur de possibles relations sexuelles tarifées avec une mineure. Un faux pas ? "Gaetz, ce n'est pas une erreur de casting, mais un ballon d'essai : s'il passait, Donald Trump savait que tout passerait" auprès du Sénat, chargé de confirmer ces nominations, juge Lauric Henneton.

Malgré quatre ans à la tête des Etats-Unis, "Donald Trump ne maîtrise toujours pas l'art de travailler de concert avec le Congrès", lâche Hans Noel. "Il n'a pas la culture de Washington, les connexions pour s'assurer que ses nominations seront validées par le Sénat, poursuit-il. Mais ce n'est de toute façon pas sa manière de prendre des décisions."

"Il intervient sur absolument tout"

D'autant que le républicain est certain de l'influence qu'il a sur son parti et au Congrès, où les conservateurs ont la majorité. Fin décembre, le président élu a torpillé un accord censé évité une paralysie budgétaire aux Etats-Unis, d'un laconique "Tuez le texte" posté sur le réseau social X. Il a aussi poussé pour la réélection président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, pourtant critiqué par certains républicains. Comme un avant-goût des quatre ans à venir, ces événements ont montré que Donald Trump "intervient sur absolument tout, d'un tweet ou de dix", relève Lauric Henneton. "Qu'il soit au pouvoir ou pas, il est toujours quelque part en coulisses : avec lui, il n'y a pas de séparation des pouvoirs avec le Congrès."

Donald Trump connaît aussi son poids sur la scène internationale. Dès le lendemain de l'élection, beaucoup ont félicité le républicain sur les réseaux sociaux ou par téléphone. D'autres, comme le président argentin, Javier Milei, ou le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, sont venus jusqu'à sa résidence de Mar-a-Lago pour le rencontrer, a rapporté Associated Press. Le président élu était aussi au premier rang de la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris, et avait son propre envoyé spécial au Qatar pour participer aux négociations sur une trêve entre Israël et le Hamas.

"Entre ses rencontres avec les dirigeants étrangers et ses tweets fracassants, il semblait déjà être aux affaires."

Lauric Henneton, historien

à franceinfo

La plupart des chefs d'Etat, élus ou en fonction, "feraient preuve de prudence avec leurs voisins pacifiques et leurs alliés", souligne Hans Noel. Donald Trump, lui, a déjà suscité des tensions avec le Canada et le Danemark. Le républicain "profite de la moindre opportunité de mettre de l'huile sur le feu si cela peut renforcer l'adhésion de sa base électorale", décrypte le politologue. "Il n'hésitera pas à dire quelque chose qui semble fou, à donner du sérieux à un scénario complètement farfelu, insiste Hans Noel. Le problème, c'est que personne ne sait si c'est de la provocation ou s'il faut y accorder du crédit."

Flatteries, donations et "vassalité"

Donald Trump entretient le flou, et les relations transactionnelles. Huit ans après sa première victoire à la présidentielle, "on sait globalement comment il fonctionne : à la flatterie et à l'argent", pointe Lauric Henneton. Pour s'assurer son soutien, plusieurs milliardaires ont fait des dons pour financer la cérémonie d'investiture du républicain, révèle la radio NPR. Le patron de Meta, Mark Zuckerberg, est l'un d'entre eux. Il a par ailleurs annoncé des changements majeurs de la modération sur Facebook et Instagram. "Un certain nombre d'hommes d'affaires essaient d'être dans les petits papiers de Trump pour obtenir des avantages fiscaux ou des dérégulations en contrepartie. C'est très féodal", estime Lauric Henneton, qui y voit une forme de "vassalité".

Pour David Smith, si Donald Trump semble déjà être aux commandes depuis novembre, c'est "en partie car ce n'est que la deuxième fois de l'histoire américaine [après Stephen Grover Cleveland en 1880] qu'un chef d'Etat réalise deux mandats non consécutifs". Le républicain "a déjà les contacts et la visibilité" du président des Etats-Unis, souligne le journaliste du Guardian.

C'est également le signe de sa volonté de "briser les normes". "On peut y voir une stratégie du chaos ou une forme d'efficacité", estime Lauric Henneton. Comme il l'a montré durant ces trois mois, Donald Trump "pose les conditions, il fixe les règles". Hans Noel s'attend d'ailleurs à ce qu'il impose son agenda dès lundi. "En 2017, il avait signé une série de décrets le premier jour, mais il voudra quelque chose d'encore plus marquant cette fois", affirme le politologue.

Donald Trump signe un décret présidentiel à la Maison Blanche, à Washington (Etats-Unis), le 23 janvier 2017, au début de son premier mandat. (SAUL LOEB / AFP)

C'est aussi ce qu'anticipe MSNBC. La chaîne américaine s'attend à "une centaine de décrets" signés "peut-être dans les huit premières heures", mais aussi à de possibles licenciements de fonctionnaires ou à un potentiel pardon accordé aux trumpistes condamnés pour l'assaut du 6 janvier 2021. Avec un objectif : faire du 20 janvier une journée "choc et de stupeur".