REPORTAGE. "Nous devons lutter contre notre propre désespoir" : à la "Marche du peuple" à Washington, des Américaines anti-Trump fatiguées mais combatives
Le rendez-vous est donné en plein centre de Washington (Etats-Unis), à 48 heures d'une nouvelle présidence Trump. A l'entrée du parc Franklin, les bonnets roses, fuschia et violets colorent la le cortège réuni sous un ciel blanc, samedi 18 janvier. Il y a huit ans, ces mêmes "pussy hats" devenaient le symbole du combat féministe contre les inégalités de genre et le sexisme, à commencer par celui du président républicain. Leur lutte reprend, à l'aube de son retour au pouvoir.
"Je n'arrive pas à croire que je manifeste encore", lit-on sur une pancarte arborée par une manifestante, sous un début de pluie glaciale. Comme elle, des milliers d'opposants à Donald Trump ont foulé le pavé de la capitale, samedi, afin de clamer leur refus des politiques défendues par le dirigeant populiste. Accès à l'avortement, justice sociale, droits des personnes LGBT+, climat... Les participants de cette marche du Peuple", ont uni leurs voix et leurs causes en marchant d'un même pas.
"Je sais que le moment n'est pas facile", convient une organisatrice, la voix portée par les hauts-parleurs. Mais "il est de notre devoir de nous battre", lance l'une de ses acolytes, invitant la foule à prendre la direction du mémorial Lincoln, près de trois kilomètres à l'ouest. Le cortège s'élance dans le cœur politique et administratif des Etats-Unis. "Nouvelle année, même combat", note l'une des nombreuses pancartes.
"Il est décourageant de devoir poursuivre le combat"
Ce matin très hivernal, Beth Nackley, 62 ans, est venue de Caroline du Nord pour prendre part à sa première manifestation, elle qui est d'habitude "une introvertie". "Ce n'est pas facile pour moi d'être ici, mais c'est important", pointe l'Américaine, très inquiète pour les droits des femmes à disposer de leurs corps. En tant que lesbienne, elle redoute aussi le recul des droits des personnes LGBT+, comme l'accès au mariage pour les couples de même sexe. "Il est décourageant de devoir poursuivre le combat", regrette la manifestante sous son bonnet rose, une écharpe du Planning familial américain autour du cou.
A ses côtés, sa nièce, Jocelyn Nackley, a fait le voyage depuis le nord de l'Etat de New York. "Je me sens revigorée et prête à ne pas me laisser abattre", assure cette trentenaire au ton combatif, engagée pour le droit à l'IVG. "J'en ai assez de rester silencieuse" affirme-t-elle, décrivant le "très mauvais rêve" qu'est pour elle cette nouvelle ère Trump.

"Défendez-vous ! (...) On ne reviendra pas en arrière !", scande une foule majoritairement féminine, deux rues derrière la Maison Blanche. Les slogans de lutte résonnent autour de Paige Bailey, un "pussy hat" sur la tête. L'Américaine, qui a déjà manifesté contre les armes à feu, ne cache pas son découragement depuis l'élection de Donald Trump. "Je n'arrive toujours pas à croire qu'il a été réélu. Nous sommes plus racistes et misogynes que nous croyons." La quinquagénaire, qui travaille auprès de migrants, craint déjà la ligne très dure et xénophobe du président sur le sujet.
"C'est épuisant. Je ne sais pas comment je vais faire pour tenir les quatre prochaines années."
Paige Bailey, manifestanteà franceinfo
En avançant vers le mémorial Lincoln, les manifestants lâchent allègrement qu'ils "emmerdent Donald Trump" et que celui-ci "doit partir". Quelques trumpistes à la casquette rouge, repérés le long du cortège, sont hués par la foule.
"Quand on est battu, on doit se relever"
L'histoire se répète à Washington. Huit ans plus tôt, des centaines de milliers d'opposants à Donald Trump lançaient une marée rose dans la ville à l'occasion de la Marche des femmes. La manifestation s'inscrit dans sa continuité ce samedi, même si elle rassemble bien moins de monde.

Lori et Mary, la soixantaine et amies depuis l'université, étaient de la partie en 2016. Elles qui "manifestent depuis [leur] jeunesse" et défendent le droit à l'avortement. Mary admet avoir "moins d'espoir" qu'en janvier 2017, et voit des électeurs de gauche aujourd'hui "démoralisés, défaits". "Mais quand on est battu, on doit se relever", défend-elle, appuyée par Lori.
"On est fatigués, mais on doit se battre. On doit lutter pour nos idéaux, même quand la situation semble désespérée."
Lori, manifestanteà franceinfo
Tandis que la "Marche du peuple" s'avance vers le mémorial Lincoln, les discours se suivent, avec en fil rouge la justice sociale et raciale, les droits des femmes et des minorités. Le ton est combatif. "Nous devons lutter contre notre propre désespoir !", insiste Rachel O’Leary Carmona, directrice de l'organisation Women's March. Raquel Willis, femme trans du Gender Liberation Movement, promet que "nous prendrons de la place". "Désobéissez ! Désobéissez !", lance à son tour une activiste, son slogan repris par la foule.
De "la consternation" à "l'action"

Un rassemblement qui fait du bien à May, 45 ans, sage-femme inquiète pour la santé et l'accès aux soins des Américaines. Elle aussi a manifesté pour leurs droits il y a huit ans. "Quand vous avez un grand mouvement et que vous vous retrouvez au point de départ, c'est forcément décourageant", convient la manifestante. "Mais il y a de l'énergie aujourd'hui. Il y a un engagement pour la résistance." A son échelle, elle continuera d'élever "deux garçons féministes" et de défendre l'accès aux soins de ses patientes, au cours des prochaines années. S'engagera-t-elle davantage ? "Je pense qu'il faut que je dépasse la consternation. Et que je passe à l'action."