« Tous les employés vont payer la mise en chômage de leurs collègues » : en 2025, ça passe ou ça casse pour l’automobile française

Portes closes à la Fonderie de Bretagne (FDB). Pour l’heure, rien de plus normal : l’usine sidérurgique de Caudan, dans le Morbihan, est en pause de fin d’année. Ensuite ? « On sait que l’on revient le 6 janvier. Mais après, nous n’avons plus aucune certitude », accuse le coup Maël Le Goff.

Depuis le vendredi 20 décembre et la décision de Renault de ne pas prendre sa part dans le plan de reprise de l’entreprise par le fonds allemand Private Assets, le délégué syndical CGT comme ses 310 collègues se retrouvent face à de sombres perspectives. « Private Assets est parti. La Fonderie va être placée en procédure de sauvegarde. Des personnes vont sûrement se présenter dans la période de redressement pour faire des propositions de rachat pas forcément sérieuses », reprend le représentant du personnel.

L’usine, qui produit des pièces en fonte pour les suspensions comme pour les échappements des véhicules de la marque au losange, n’entre plus dans les plans de développement du constructeur. Ce dernier, jusqu’alors principal client du site, argue du virage pris des moteurs thermiques vers l’électrique et du tassement des chiffres de vente des voitures neuves en 2024 pour ne plus garantir ses niveaux de commandes. La FDB a devant elle un peu de charge de travail. Ensuite, son directeur estime disposer de quelques semaines de trésorerie pour payer les salaires.

Sur la liste des 300 sites en difficulté

Héritière des Forges d’Hennebont, créées en 1860, la Fonderie de Bretagne, implantée à Caudan depuis 1965, vendue par Renault à Callista en 2022, n’est pas le seul fournisseur de l’automobile à voir son nom inscrit sur la liste des 300 sites en difficulté recensés par la CGT.

Il n’y a d’ailleurs pas de vacances pour les plans sociaux. Ainsi, le 26 décembre, PJ Industry a officialisé la suppression de 16 emplois sur 24 dans son usine SMP (Société mécanique de précision) de pièces automobiles à Flers (Orne).

De son côté, le cabinet spécialisé Trendeo a recensé depuis janvier 238 annonces de fermetures de sites, réductions d’effectifs ou redressements judiciaires impliquant chacune plus de 50 pertes d’emplois, contre 166 annonces en 2023 (+ 53 %).

Derrière la chimie et la sidérurgie, « le cœur des difficultés, c’est l’automobile » et « le passage au véhicule électrique », note David Cousquer, son fondateur : « Quand on a perdu les sites d’assemblage final, forcément c’est difficile pour les sous-traitants, il y a moins de raisons de continuer à entretenir une fonderie en France si l’assemblage se fait en Europe de l’Est ou en Espagne. »

Les ventes de véhicules à batterie n’ont progressé que de 0,1 % en un an

La crainte d’un effet domino pour 2025 est d’autant plus grande que Renault et Stellantis ont décidé depuis trois ans de spécialiser leurs établissements français dans l’électrique. Leurs sous-traitants et fournisseurs ont suivi. Mais l’électrique n’est plus un argument suffisant pour maintenir l’emploi.

L’usine Valeo de Saint-Quentin-Fallavier, qui avait transformé son activité de production de démarreurs pour moteurs thermiques à la fabrication de petits moteurs sur courant, va perdre 238 de ses 305 postes.

Le secteur a beau avoir adopté avec le gouvernement, le 6 mai, un contrat de filière ambitieux visant à « investir massivement dans un contexte de concurrence internationale exacerbée » pour produire « 2 millions de véhicules électrifiés en France par an en 2030 », les ventes de véhicules à batterie n’ont progressé que de 0,1 % entre novembre 2023 et novembre 2024 (260 995 achats). Trop chers pour les clients, la prime à l’achat gouvernementale ayant de surcroît été soumise par décret du 1er décembre à un sérieux coup de rabot, de 7 000 à 4 000 euros maximum.

Pour l’heure, le moteur de la production en France de voitures vertes est à chercher du côté des obligations réglementaires. Dans l’optique du zéro moteur thermique et hybride vendu en 2035, fixé par l’Union européenne, l’abaissement significatif de 15 % des seuils de rejets de gaz à effet de serre, imposé à la flotte mise sur le marché par les constructeurs entre 2024 et 2025, a poussé ces derniers à accélérer la fabrication de véhicules « verts ». Car les marques qui contreviennent à la réglementation risquent de devoir s’acquitter de fortes pénalités l’an prochain.

Chez Stellantis, l’électrique ne fait que freiner les suppressions de postes

L’usine Renault-Ampère de Maubeuge, qui a procédé à 200 embauches, tourne donc à plein, samedi compris. Elle devrait avoir atteint au 31 décembre les 130 000 utilitaires Kangoo, Citan et Townstar assemblés, avant d’accueillir la 4R. Sa sœur de Douai connaît la même effervescence pour les Mégane, Scénic et R5. Mais selon un bon connaisseur du secteur, la plupart de ces véhicules neufs s’accumulent sur les parkings du réseau commercial au losange.

Chez Stellantis, l’électrique ne fait que freiner la pente naturelle des suppressions de postes, rendue toujours plus raide par la compétition entre sites instaurée par Carlos Tavares, l’ancien PDG fraîchement viré. Le groupe vient ainsi de garantir un prêt bancaire d’un milliard d’euros pour la construction d’une deuxième ligne de fabrication de batteries haute performance NMC dans l’usine ACC de Douvrin, dont il est coactionnaire avec Mercedes et TotalEnergies.

Les deux marques auraient pu consolider leur empreinte industrielle en France si elles avaient su profiter de la vogue pour les véhicules hybrides. Ces derniers sont le seul segment dans le vert en novembre (+ 17 %), dans un marché en rouge foncé tous modèles confondus (- 12,7 %) en novembre. Mais Renault et Stellantis ont massivement délocalisé la production de ces motorisations hybrides qui représentent désormais une nouvelle immatriculation sur deux.

Seule l’usine Toyota d’Onnaing (Nord), qui fabrique les Yaris et Yaris Cross, profite à plein de l’aubaine : 83 % des ventes de la marque japonaise dans l’Hexagone sont des modèles hybrides et hybrides rechargeables, selon AAA Data.

Niveau de production le plus bas depuis 1962

L’horizon automobile tricolore s’annonce donc sombre pour 2025. Avec 950 000 véhicules sortis de leurs chaînes, Stellantis, Renault et Toyota ont atteint le plus bas niveau de production depuis 1962. Un plus bas qui peut encore diminuer.

Auditionné le 6 novembre dernier par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Jean-Philippe Imparato, directeur général de la région Europe élargie du groupe Stellantis, n’a fait que garantir la capacité actuelle de production en France, non un niveau minimal de véhicules effectivement sortis des lignes, encore moins un niveau d’emplois.

À bas bruit, l’accord « relatif à la gestion des emplois et des parcours professionnels 2024-2025 » chez Stellantis continue de mettre en place un plan de 1 300 suppressions de postes dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective, accompagné d’un transfert de 300 postes de l’usine de Valenciennes à celle voisine d’ACC à Douvrin ainsi que la mise en congé longue durée concernant 100 postes.

Et pour la suite ? Des fermetures de sites ne sont pas exclues, comme l’expliquait Carlos Tavares avant son limogeage, avec peut-être l’usine de Poissy (Yvelines) en ligne de mire.

« Tous les employés vont payer la mise en chômage de leurs collègues »

Quant à Renault, la direction vient de parapher avec la CFE-CGC et la CFDT un accord définissant le cadre
social pour les 40 000 salariés du groupe en France de 2025 à 2027. Côté pile, selon les deux syndicats signataires, tout plan de départs contraints est exclu ; la prise en charge des frais de santé par la complémentaire d’entreprise a été améliorée ; la diminution de jours télétravaillés a été limitée.

Côté face, pour la CGT, « à part la mutuelle, tout le reste n’est que régression », dénonce Thomas Ouvrard. Le délégué CGT du groupe met particulièrement en cause le « fonds de solidarité » de 8 millions d’euros maximum, instaurant un prélèvement de 0,2 % sur les salaires dans l’ensemble du groupe, afin de verser le complément non pris en charge par la solidarité nationale pour un maximum de 1 700 salariés mis en chômage technique.

« Tous les employés vont payer la mise en chômage de leurs collègues, s’étouffe Thomas Ouvrard. C’est contraire au contrat de travail qui fixe à l’employeur l’obligation de fournir du travail à ses employés ou, à défaut, des heures de formation professionnelle ou à la sécurité en cas de baisse d’activité. »

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