Le gouvernement dirigé par Benyamin Netanyahou tente d’isoler une voix discordante. Ce dernier a voté à l’unanimité, dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 mars, le limogeage de Ronen Bar, chef du Shin Bet, l’agence de la Sécurité intérieure. Une première dans le pays.
Les ministres se sont réunis dans le bureau de Benyamin Netanyahou, pendant plusieurs heures et sans Ronen Bar, qui ne s’est pas rendu sur place. Lors de la rencontre, le premier ministre d’Israël aurait justifié ce licenciement, selon les informations du journal Haaretz, par un « manque de confiance fondamental » entre lui et Ronen Bar, ajoutant que la situation actuelle était intenable.
« Il a eu une approche pas assez ferme »
Le chef de l’agence de la Sécurité intérieure ne serait ainsi pas « la personne idéale pour reconstruire » le Shin Bet, estime Benyamin Netanyahou. « Vous savez tous ce qui s’est passé la nuit du 7-Octobre, et en menant les négociations, j’en suis arrivé à la conclusion que Bar n’était tout simplement pas fait pour cela, aurait lancé le premier ministre. Il a eu une approche douce, pas assez ferme… J’ai passé des heures avec lui, et cela m’a prouvé qu’il n’était pas la personne idéale. »
Selon Yossi Shain, professeur de sciences politiques à l’Université de Tel-Aviv, son sort a été scellé par sa mise en cause de l’exécutif dans le fiasco de l’attaque menée par l’organisation palestinienne Hamas, le 7 octobre 2023. Mais aussi par l’enquête que mène le Shin Bet sur l’affaire, baptisée « Qatargate » par les médias. Le scandale diplomatique et financier en question implique des proches de Benyamin Netanyahou – par ailleurs visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) – pour des versements occultes présumés du Qatar.
Son limogeage est aussi une « promesse » qu’a fait le premier ministre « à Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale, et Bezalel Smotrich, ministre des Finances, pour assurer sa coalition » avec l’extrême droite, estime l’universitaire. Yossi Shain rappelle notamment que Ronen Bar était devenu leur « bête noire ».
Absent de la réunion au cours de laquelle son sort a été scellé, Ronen Bar a envoyé une lettre au gouvernement israélien, où il fustige le choix du premier ministre. De l’absence de preuves concrètes à sa mise à l’écart des négociations sur l’accord de cessez-le-feu négocié avec le Hamas, « rien ne justifie les allégations de manque de confiance » émises par Benyamin Netanyahou, estime-t-il.
« Un grave conflit d’intérêts »
Le désormais ex-chef du Shin Bet en profite aussi pour questionner le timing de son limogeage, alors que l’enquête « complexe, de grande envergure, très significative et particulièrement sensible » sur la proximité avec le Qatar suit son cours. « Je considère l’achèvement de cette enquête et la recherche de la vérité, quelle qu’en soit l’issue, comme un devoir public primordial, affirme Ronen Bar. Toute perturbation de ce processus par une tentative hâtive et soudaine de me destituer, fondée sur des justifications fondamentalement erronées, est entièrement motivée par des considérations inappropriées et un grave conflit d’intérêts. »
C’est aussi l’enquête sur les responsabilités dans l’attaque du 7 octobre – que Benyamin Netanyahou refuse de voir devenir une commission d’enquête d’État – qui est ciblée. Dans son courrier de réponse à la procédure qui le visait, Ronen Bar, qui a reconnu son échec à propos de l’attaque du Hamas et s’était dit prêt à démissionner quand les otages auront tous été libérés, écrivait ainsi que l’enquête « a mis en lumière une politique menée pendant des années, en particulier l’année précédant le massacre, par le gouvernement et son dirigeant. L’enquête révèle un mépris délibéré et prolongé des avertissements par les échelons politiques ».
L’opposition politique au gouvernement mené d’une main de fer par Benyamin Netanyahou et une ONG ont annoncé, en réaction, le dépôt de recours devant la Cour suprême israélienne. Le Mouvement pour un gouvernement de qualité a dénoncé dans un communiqué une « décision illégale (…) posant un vrai risque pour la sécurité nationale ». Le parti de droite Yesh Atid a quant à lui annoncé avoir déposé un recours au nom de plusieurs formations d’opposition : Yesh Atid, donc, mais aussi le parti de l’Union nationale (mené par l’ancien ministre de la Défense, Benny Gantz), « Les démocrates » de Yaïr Golan, et le parti nationaliste Israël Beiteinou, d’Avigdor Lieberman.
Ancien de l’unité d’élite de l’armée israélienne – comme Benyamin Netanyahou -, Ronen Bar a pris la tête du Shin Bet le 11 octobre 2021, pour un mandat de cinq ans. Ses prises de position créent rapidement des dissensions avec le gouvernement de Benyamin Netanyahou, revenu au pouvoir fin 2022 et soutenu par l’extrême droite favorable à la colonisation. Ronen Bar s’était notamment retrouvé au centre d’attaques pour avoir annoncé lutter aussi contre le « terrorisme juif » qui, selon ses propos rapportés par les médias, contribue à alimenter le « terrorisme palestinien ».
En 2023, il avertit le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, que l’action de la police à Jérusalem-est, annexée par Israël, crée un sentiment de punition collective et de harcèlement au sein de la population palestinienne. Il lui demande alors de ne pas se rendre sur le Mont du Temple – ou esplanade des Mosquées -, site ultrasensible de la Vieille ville de Jérusalem. Demande ignorée par le ministre d’extrême droite.
Ronen Bar, dont l’annonce du limogeage a provoqué des manifestations, a assuré qu’il continuerait à « remplir son rôle » jusqu’à ce qu’un successeur soit désigné, au plus tard le 10 avril. Il a aussi annoncé qu’il se défendrait devant les « instances appropriées », ce qui laisse présager une bataille judiciaire avec l’exécutif dans les semaines à venir.
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