France Télé s’associe à Amazon Prime : pourquoi Ernotte vend le service public au diable

Le proverbe « sois proche de tes amis et encore plus de tes ennemis » a été appliqué à la lettre. Depuis des mois, la ministre de la Culture, Rachida Dati défend son projet de créer une holding chapeautant France Télévisions, Radio France et l’INA. Son argument : renforcer le service public pour concurrencer les plateformes. Pourtant, ce 3 juillet, France Télévisions et Amazon Prime annoncent leur partenariat. Les contenus du service public seront désormais disponibles sur la plateforme privée américaine.

« Avec ce mode de distribution inédit, notre groupe franchit une étape historique pour renforcer la visibilité de son offre de service public », a déclaré dans un communiqué Delphine Ernotte Cunci, la présidente-directrice générale de France Télévisions. Pour Eléonore Duplay, déléguée SNJ-CGT à France Télévisions, « cette décision est incompréhensible ».

Amazon se frotte les mains

La présidente de France Télévisions voit ce partenariat comme une aubaine pour augmenter les audiences du service public. Une stratégie adoptée récemment par TF1 et Netflix, qui ont eux aussi signé un accord. Pour François-Pier Pélinard-Lambert, directeur de la rédaction du Film Français, « TF1 et France Télévision sont dans une logique de visibilité, et veulent séduire les plus jeunes. Aujourd’hui, la télévision est majoritairement regardée par les plus de 50 ans, sauf lors d’évènements sportifs ou inédits. »

Mais l’argument ne convainc pas le journaliste Danilo Commodi du SNJ-CGT, qui perçoit cet accord comme « une balle dans le pied. » Le syndicaliste à France Télévisions craint que la plateforme France.tv soit délaissée. « Nous offrons la possibilité à nos habitués de passer par Amazon », s’insurge-t-il, tandis qu’un autre se frotte les mains. Le directeur général de Prime Video France, Christophe Deguine, ne cache pas son ambition : « Nous sommes constamment à la recherche de nouveaux moyens d’élargir l’offre de contenus de qualité proposée à nos clients et de confirmer Prime Video comme la destination numéro 1 du divertissement. »

De réelles questions éthiques

Mais ce partenariat pose de réelles questions éthiques. Danilo Commodi est formel : « Nous collaborons avec les ogres. Amazon est un monstre, nos contenus vont davantage renforcer sa position dominante. » Un avis partagé par le syndicat National de la Radiodiffusion, de la Télévision et de l’Audiovisuel CGT : « Au-delà de l’exposition élargie, des programmes de France.tv, l’image de l’entreprise est maintenant associée à Amazon, entreprise multinationale prédatrice, aux pratiques fiscales controversées, critiquée pour les conditions de travail difficiles de ses salariés, sa domination écrasante du marché, son impact écologique et sa gestion des données personnelles. Tout l’inverse des valeurs affichées par France Télévisions. »

Contactée par L’Humanité, Sonia Dauger, journaliste et réalisatrice, apprend la nouvelle en direct. Rapidement, celle qui travaille pour France Télévision s’inquiète des conditions de l’accord : « Il est difficile d’avoir une visibilité en termes de rémunération pour les auteurs. Même si nous cédons nos droits à la société de production, il faut être vigilants à ce que l’on soit bénéficiaires de ces nouvelles audiences. »

Une compétence qui relève de la SCAM, la société civile des auteurs multimédias. « C’est un partenariat entre deux mastodontes. Il ne faut pas que ces grands puissants ne laissent que les miettes aux auteurs », poursuit-elle. Si de prime abord Sonia Dauger voit en cette association un moyen de valoriser le patrimoine du service public, elle s’inquiète « d’éventuelles incidences éditoriales. » Et s’explique : « Nous ne connaissons pas les coulisses de l’accord. Mais si Amazon Prime a investi gros, il peut demander à terme de raccourcir les longueurs des documentaires, d’adoucir les propos, de lisser les contenus ».

Ce partenariat requestionne la nature propre du service public : sa gratuité, son indépendance, son éthique. La comédienne Corinne Masiero, qui interprète la Capitaine Marleau sur France 3, s’enflamme : « Pourquoi ils s’arrêteraient à la SNCF, à la santé, à l’éducation ? La question, c’est : comment les arrêter, quelles sont les différentes solutions » ?

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