"Maintenant, le long et douloureux cauchemar est fini." Donald Trump n'a pas manqué d'éloges lundi 13 octobre pour saluer la rupture historique que constitue l'accord signé par Israël et le Hamas, après deux ans de guerre dans la bande de Gaza. Ce plan, à l'initiative du président américain, a déjà conduit à la libération de tous les otages encore vivants détenus par le mouvement islamiste, ainsi qu'à la libération, en contrepartie, de près 2 000 prisonniers palestiniens.
"La guerre est terminée. Vous comprenez ça ?", a insisté Donald Trump dans l'avion présidentiel qui le conduisait en Israël, selon CNN. L'accord vanté par le président des Etats-Unis a été obtenu par les négociateurs des deux camps, les pays médiateurs (Egypte, Qatar, Turquie), mais aussi par ses soins. "J’ai arrêté huit guerres en huit mois, y compris celle-ci", s'est ensuite félicité le président américain dans un discours décousu d'une heure devant la Knesset, le Parlement israélien, empreint d'un habituel autosatisfecit. Mais Donald Trump ne va-t-il pas un peu vite en besogne ?
Une "première phase" encore incomplète
La situation actuelle demeure extrêmement fragile, car le processus de paix n'en est qu'à ses débuts. Le plan initialement proposé par la Maison Blanche le 29 septembre compte pas moins de 20 points, certains décrivant des actions concrètes, comme le retour des otages israéliens et la libération de prisonniers palestiniens, et d'autres des aspirations politiques plus abstraites ("Gaza sera une zone déradicalisée débarrassée du terrorisme qui ne représente pas une menace pour ses voisins").
Au lendemain de la libération des otages, seuls deux points peuvent être considérés comme remplis : le recul partiel de l'armée israélienne dans la bande de Gaza, le long d'une ligne tracée par les Etats-Unis, et le retour de prisonniers palestiniens détenus par l'Etat hébreu.
La libération des otages israéliens détenus par le Hamas et d'autres groupes islamistes dans la bande de Gaza n'est d'ailleurs pas achevée. Si les 20 otages encore vivants ont bien été libérés, seules 4 dépouilles ont officiellement été récupérées par l'armée israélienne mardi matin, contre les 28 réclamées et qui auraient dû être rendues avant lundi midi. La porte-parole du Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a déclaré qu'un "organisme international" devrait aider à les localiser, comme cela est prévu dans le cadre du plan américain.
Un autre point essentiel de l'accord porté par la Maison Blanche est le retour de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza dévastée et affamée. Ce flot d'aide devait suivre "immédiatement" la signature de l'accord, dans des quantités au moins équivalentes à celles distribuées lors de la première trêve du 19 janvier au 1er mars 2025 (soit environ "500 à 600 camions par jour", selon le chef des opérations humanitaires de l'ONU, Tom Fletcher). Mais aucune donnée n'a été publiée sur la page de l'armée israélienne dédiée à l'aide humanitaire depuis le 3 octobre.
L'agence de l'ONU en charge de l'aide humanitaire (Ocha) a fait état lundi de développements encourageants, comme une hausse des volumes d'aide autorisés par Israël, ou le retour du gaz de cuisson dans la bande de Gaza pour la première fois depuis le mois de mars. Mais l'aide qui entre actuellement est loin de répondre aux besoins. "Il y a énormément de malnutris, énormément de blessés" qui "vont mourir dans les semaines qui viennent" en l'absence d'aide étrangère pour le système de santé, relève sur franceinfo Jean-François Corty, président de Médecins du monde.
Comment désarmer le Hamas ?
Et le plus dur est encore à venir. "Israël et le Hamas ont tous deux accepté la première phase" du plan de paix de Donald Trump, mais les négociations autour des prochaines étapes s'annoncent particulièrement complexes et pourraient échouer à tout moment.
A commencer par le désarmement du Hamas, condition indispensable posée par la Maison Blanche et Israël pour que l'accord de cessez-le-feu s'inscrive dans la durée. Le groupe islamiste palestinien a déjà refusé en août de rendre les armes tant qu'un Etat palestinien n'aura pas été établi et que l'occupation israélienne se poursuivra. Pour autant, des responsables du mouvement "ont déclaré en privé à leurs interlocuteurs que le groupe pourrait être ouvert à un processus de démantèlement de ses armes offensives", affirme Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, auprès d'Al Jazeera.
Mais le Hamas "ne rendra ses armes [légères] que lorsqu'il n'en aura plus besoin", c'est-à-dire "à un gouvernement palestinien qui prendra le contrôle d'un Etat après la fin de l'occupation israélienne", juge auprès du même média Azmi Keshawi, Palestinien de Gaza et chercheur au International Crisis Group. Et quand bien même le Hamas accepterait de remettre ses armes, on ignore qui encadrerait ce désarmement. L'Autorité palestinienne, qui administre la Cisjordanie occupée, n'a pas été incluse dans les négociations de paix. Et la "Force internationale de stabilisation" temporaire envisagée par Washington, censée être déployée dans la bande de Gaza, n'est à ce stade pas clairement définie.
Des défis politiques colossaux
De son côté, Israël refuse toujours la création d'un Etat palestinien. "L'initiative actuelle visant à reconnaître un supposé Etat palestinien (...) récompense le Hamas pour le massacre du 7-Octobre", estimait Gidéon Saar, le ministre des Affaires étrangères israélien, après la reconnaissance officielle par la France à l'ONU. Les points de vue semblent irréconciliables. Et "rien ne prouve pour l'instant que cet accord a pleinement convaincu Benyamin Nétanyahou et les extrémistes de son gouvernement d'abandonner leurs projets ouvertement expansionnistes à Gaza et en Cisjordanie", écrit dans le magazine Time Shibley Telhami, professeur à l'université américaine du Maryland et spécialiste du Moyen-Orient.
L'une des questions les plus complexes, c'est celle de la forme que prendra la future gouvernance de la bande de Gaza. La Maison Blanche propose la mise en place d'une "gouvernance temporaire de transition, avec un comité palestinien technocratique et apolitique", "composé de Palestiniens qualifiés et d'experts internationaux". Le tout chapeauté par un "conseil de la paix" dirigé par Donald Trump lui-même et incluant l'ex-Premier ministre britannique Tony Blair. Mais cette partie de l'accord n'a pas encore été approuvée par les deux camps.
"C'est une véritable dépossession politique pour les Palestiniens qui se voient imposer une solution", estime auprès des Echos Sarah Daoud, chercheuse associée au Ceri et post-doctorante à Sciences Po Grenoble. "La vague promesse d'une 'voie' vers l'indépendance palestinienne rappelle les négociations passées, où (...) la promesse d'un éventuel Etat palestinien était devenue un écran de fumée pour camoufler une réalité déjà cruelle, injuste et explosive", rappelle Shibley Telhami.
Le "plan de développement économique" de Gaza promis par Donald Trump, qui a déjà fait polémique avec son idée de transformer la côte gazouie en site touristique de luxe, devrait également faire débat. Et reste enfin la reconstruction de l'enclave palestinienne, où près de 80% des bâtiments ont été endommagés ou détruits par deux ans d'offensive israélienne, selon l'ONU. Un chantier titanesque qui n'a pour l'heure pas été évoqué. Si Donald Trump a participé à interrompre la guerre, il n'a pas encore obtenu la paix.