« Au Portugal, le premier ministre Luis Montenegro a bénéficié de la même recette que celle de Berlusconi et Trump » : entretien avec l’historien Manuel Loff
L’historien Manuel Loff analyse les résultats des élections législatives tenues ce dimanche 18 mai au Portugal, remportées par une coalition conservatrice parvenant à se maintenir au pouvoir (32,7 %, + 9 sièges) face à un parti socialiste défait (23 %, -20 sièges) maintenant talonné par le parti d’extrême droite Chega (22 %, + 8 sièges).

Manuel Loff, historien
Historien, maître de conférences à l’université de Porto et associé à l’université Nouvelle de Lisbonne, ex-député du parti communiste portugais
Malgré les affaires de conflits d’intérêts qui l’ont poussé à démissionner, les électeurs n’ont pas « puni » le premier ministre Montenegro.
Luis Montenegro a été récompensé malgré le d’avoir dit tout et son contraire au sujet de la stabilité, et surtout après avoir lui-même été le principal facteur de l’instabilité institutionnelle qui a frappé notre pays ces derniers mois. À l’échelle nationale, il a bénéficié de la même recette que celle déjà utilisée par Berlusconi et Trump : les électeurs qui crient contre « les corrompus » sont les mêmes qui disent que « tout le monde a des entreprises, ce n’est pas un problème ».
Malgré sa victoire et la hausse de son nombre de députés, la coalition conservatrice Alliance démocratique est encore loin d’être majoritaire, et a besoin de trouver des alliés…
Ceux qui rêvaient d’une majorité de droite « acceptable » (AD avec l’Initiative Libérale) se sont trompés. Pour l’instant, l’AD considère Chega comme infréquentable, mais nous savons ce que cela veut dire : ce n’est qu’un « pour le moment », tant que cela les arrange. Et ensuite…
Le grand gagnant du scrutin est incontestablement l’extrême droite, sur le point d’égaler le score des socialistes.
J’ai toujours maintenu que ces élections étaient celles qui offraient le plus de terrain à Chega, un parti qui fonde une grande part de sa stratégie sur un discours punitif (« 50 ans de corruption ») et messianique, très proche de celui qui a facilité l’ascension du fascisme il y a cent ans.
Sans véritable barrière antifasciste, ce fascisme version XXIe siècle parviendra bel et bien au pouvoir au moindre faux pas de Luís Montenegro et de ses acolytes. D’ailleurs, les résultats de ce dimanche ne tirent pas un trait sur l’affaire (de conflit d’intérêts) qui le touche, et qui est à la base de ces élections anticipées.
De son côté, le parti socialiste (PS) a subi une défaite historique…
En seulement trois ans, le PS a réussi à faire évaporer presque la moitié des 41 % de voix de 2022 et de la majorité parlementaire artificielle qui en était issue. À l’époque, le PS avait profité des hausses du salaire minimum, de la restitution des salaires et des pensions, c’est-à-dire de tout ce que le Parti communiste portugais (PCP) et le Bloc de gauche (BE) l’avaient contraint à faire.
Ensuite, on a vu ce qui s’est passé : avec la guerre en Ukraine et l’inflation provoquée par les sanctions de l’Union Européenne, le PS a laissé s’effondrer ce qu’il avait construit, et a persisté à décevoir les travailleurs des services publics. Sans programme clair qui le distingue vraiment de l’AD, le PS suit le même chemin que la social-démocratie européenne : le désastre.
Quelle place pour la gauche anti-néolibérale ?
La gauche communiste et le Bloc de gauche doivent assumer leur rôle. La Coalition démocratique unitaire (CDU, constituée du PCP et du Parti écologiste les Verts, N.D.L.R.) a mieux résisté que le BE, mais les deux doivent être capables de montrer qu’ils peuvent articuler des mouvements syndicaux et sociaux dans la résistance face à la crise qui s’annonce : un appauvrissement combiné à un réarmement, qui pourrait, comme il y a un siècle, rouvrir la porte au fascisme.
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