« On est en train de désarmer politiquement et psychiquement les citoyens » : Roland Gori défend le langage comme outil d’émancipation

Et soudain un long silence s’est fait dans l’auditorium du journal l’Humanité. « J’ai toujours travaillé sur la réhabilitation de la parole et pourtant je ne pensais pas qu’on en arriverait de mon vivant à une telle destruction du langage. On perd le lien à la réalité. On est en train de désarmer politiquement et psychiquement les citoyens. »

Un ange passe discrètement après cet aveu de Roland Gori, lors d’un débat samedi avec les Ami·es de l’Humanité. Le psychanalyste est venu dialoguer autour de son dernier livre : Dé-civilisation. Les nouvelles logiques de l’emprise1, et s’en prend frontalement au « technofascisme incarné par le duo Trump-Musk, nouveaux représentants du « style paranoïaque », c’est-à-dire une hybridation d’idées réactionnaires et conservatrices avec des pratiques modernes et futuristes de gestion technique et algorithmique de l’opinion afin de contrôler les populations ».

L’attaque permanente faite par le capitalisme néolibéral contre la civilisation

Une étape de plus de ce qu’il nomme la « dé-civilisation », non pas au sens qu’en donne l’idéologue d’extrême droite Renaud Camus, réutilisé par le président de la République Emmanuel Macron après les émeutes de 2023 faisant suite à la mort de Nahel, tué par un policier, mais au sens du sociologue Norbert Elias, qui utilise ce terme pour décrire le processus menant à la montée du nazisme au XXe siècle en Allemagne.

« Comparaison n’est pas raison, l’histoire ne bégaie pas, mais nous sommes dans un nouveau processus de décivilisation qu’il faut absolument combattre », mesure l’intellectuel. Cette décivilisation passe selon lui par l’attaque permanente faite par le capitalisme néolibéral contre la civilisation des « services publics, de la Sécurité sociale, de la République en commun », par le non-respect de la démocratie, de plus en plus violentée et contournée, par une « taylorisation de nos esprits » dans le monde du travail et dans la vie de la cité, et enfin par un « déclassement qui peut amener à une colère qui s’exprime dans le déterminisme symbolique, dans une identification narcissique à une communauté avec un rejet de l’altérité ».

L’internationale néofasciste, soutenue par de nombreux milliardaires, en récolte les fruits dès lors « qu’on laisse faire, et que la gauche désignée comme responsable de tous les maux ne parvient pas à réhabiliter le langage, à en faire la meilleure façon de résister pour libérer les imaginaires et mener la bataille culturelle ».

Roland Gori fustige alors tous ceux qui s’en prennent à la vérité, tentent de travestir les faits ou d’imposer des « fakes news ». Face « aux imposteurs, tel Trump, qui se placent dans les attentes d’autrui – le charisme étant le psychotrope des foules en désespoir – et qui réduisent le langage à une forme rudimentaire, à des échanges de signaux, il n’y aura pas de solution à gauche sans travail collectif et réflexion autour d’une éthique de la vérité ».

  1. Dé-civilisation. Les nouvelles logiques de l’emprise, de Roland Gori, les Liens qui libèrent, 320 pages, 23 euros. ↩︎

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