REPORTAGE. "Nous avons peur, mais nous avons encore l’espoir" : un mois après la chute de Bachar al-Assad, des Syriens libres mais travaillés par le doute

On se souvient des scènes de liesse dans tout le pays à l’annonce de la victoire des rebelles islamistes de HTS le 8 décembre dernier, après avoir renversé le dictateur Bachar al-Assad. Quels sentiments animent aujourd’hui les habitants de Damas, cette euphorie est-elle toujours présente ?

Les sourires sont toujours là sur les visages, malgré la dureté de la vie quotidienne. Les gigantesques portraits et statues d’Assad qui saturaient l’espace public n’ont pas été remplacés par les effigies des nouveaux maîtres du pays. Ahmad al-Chareh, l’homme fort de Damas, a même demandé à ceux qui commençaient à placarder son image sur leurs véhicules de s’en abstenir. Un bon signe, selon les Damascènes, seul le drapeau de la révolution flotte en tous lieux.

Youssef, un jeune étudiant en médecine, n’a pas fini de célébrer la chute du dictateur. "On a fêté cinq fois avec l’université, avec les amis, avec la famille. Chaque jour avec quelqu’un de différent. Et je suis toujours content, j’ai l’espoir, raconte-t-il. On peut parler de n’importe quoi, la politique, l’idéologie, le gouvernement, notre vie, quoi. On n’a pas peur, on peut critiquer n’importe qui. On a fait la révolution pour ça, pour la liberté et l’égalité pour tout le monde."

Des signaux inquiétants

Cette liberté retrouvée est aujourd'hui le bien le plus précieux des Syriens qui vivent dans une très grande pauvreté. Mais un mois après leur arrivée au pouvoir, les anciens rebelles peinent à gagner une confiance totale. Si chacun leur sait gré d’avoir abattu un régime tortionnaire que l’on pensait inamovible, certains craignent leur passé d’islamistes radicaux.

Il y a eu des signaux inquiétants, notamment des propos sur le rôle des femmes ou la réécriture des manuels scolaires, et on apprend que vient de débuter la construction d’une mosquée au sein de l’université de Damas, devant le département de communication et journalisme. Un immense trou a été creusé où s’affairent les pelleteuses. "Ici on va construire une mosquée. Il y en aura une dans chaque université de Damas", raconte Mustafa, qui surveille les travaux.

Lara s’étonne. "C’est sûr, plutôt que de construire une mosquée, il devrait y avoir d’autres priorités en ce moment parce qu’il y a déjà des salles de prières au sous-sol de l’université, même si elles sont trop petites, explique-t-elle. Alors que nos routes sont en mauvais état et puis dans mon laboratoire, nos équipements sont hors service et on pourrait les réparer. Mais je connais des gens qui, avant, devaient rater leurs cours pour aller prier à l’extérieur alors je pense que ce n’est pas une si mauvaise idée."

Vigilance des féministes

Et Muhammad, qui regarde le panneau présentant la future mosquée à deux étages, se réjouit. "Cela me rend très fier, c’est une très bonne initiative parce qu’en tant qu’étudiants, nous avons le droit et la liberté de pratiquer notre religion. Et cela manquait avant. Nous avions peur de sortir pour la prière. Il y avait des espions du régime qui notaient les heures auxquelles on sortait pour prier. C’est comme si l’on était des terroristes ou des extrémistes."

D’autant, précise-t-il, que ce n’est pas une décision du gouvernement, c'est le recteur qui a réuni les fonds. Mais quand on va dans le quartier chrétien, l’enthousiasme est plus mesuré. Olga tient une pâtisserie réputée du vieux Damas. "Nous avons peur, je ne peux le nier, mais nous avons encore l’espoir qu’ils sauront peut-être arranger les choses de manière à préserver nos droits et à nous permettre de continuer à vivre comme on l’a toujours fait, raconte-t-elle. Ils tiennent des discours rassurants mais il y a des cas individuels. Des églises ont été attaquées. Oui, on a perdu un peu de notre enthousiasme." 

"Tout le monde nous dit : 'Attendez la nouvelle Constitution, attendez la nouvelle Constitution !' Donc on l’attend pour savoir si on va rester ou partir."

Olga, gérante d'une pâtisserie

à franceinfo

Les Syriens veulent donner aux nouvelles autorités le temps de faire leurs preuves. Même les plus sceptiques nous expliquent qu’il faut attendre la nomination du futur gouvernement. L'inquiétude des minorités est palpable, celle de certaines femmes aussi. Les féministes restent vigilantes, mais elles saluent la nomination d’une femme à la tête de la banque centrale, d’une autre pour diriger le gouvernorat de Soueïda. Une femme gouverneure, c’est une première dans l’histoire du pays.

Et cette activiste longtemps menacée respire enfin. "Maintenant, mes amies et moi qui refusions l’idée d’avoir des enfants, nous avons décidé d’en avoir. Nous ne voulions pas les élever dans ce système d’oppression et d’humiliation. Mais il a disparu. Maintenant nous pouvons nous remettre à penser. Nous voulons rester dans ce pays, avoir des enfants et un avenir", s'enthousiasme-t-elle. Un mois plus tard, l’espoir est toujours là.