Guerre en Ukraine : Donald Trump renoue avec Vladimir Poutine et dicte le tempo
Dans la soirée, mercredi 12 février, un premier tournant diplomatique est intervenu sur l’Ukraine. Un appel téléphonique de près d’une heure et demie entre Donald Trump et Vladimir Poutine qui a marqué une reprise du dialogue entre les deux puissances.
Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022, aucun échange officiel n’avait eu lieu entre les présidents états-uniens et russe. À Washington, le milliardaire a précisé avoir convenu, lors d’un « appel téléphonique long et très productif », de lancer des « négociations immédiates » pour mettre fin au conflit.
Sur son réseau social Truth, Donald Trump a affirmé : « Comme nous l’avons tous les deux convenu, nous voulons arrêter les millions de morts qui ont lieu dans la guerre. » Ils ont conclu de se rencontrer en Arabie saoudite, courant mars. Donald Trump pourrait également se rendre à Moscou et Vladimir Poutine aux États-Unis.
Pour le directeur de recherche à l’Iris, Jean de Gliniasty, « cet échange était prévisible. Trump l’avait annoncé et Poutine se tenait prêt. Le contenu de leur discussion a porté sur l’Ukraine, l’énergie et le Moyen-Orient. Cet appel illustre aussi la volonté de mettre en scène une discussion entre les deux dirigeants. Si ces négociations vont être encore extrêmement longues, elles s’annoncent profondément dures pour Kiev ».
Les contours d’un « plan de paix » américain
Le tempo s’accélère sous la pression du président américain. Donald Trump a fait de la fin de la guerre en Ukraine une de ses grandes initiatives diplomatiques pour son second mandat. Si les « 24 heures » annoncées pour résoudre le conflit se transforment en plusieurs semaines, les nombreuses prises de parole de l’administration américaine ces derniers jours laissent apparaître les principaux points d’un accord : annexion de territoires, gel d’une entrée dans l’Otan, troupes au sol en Ukraine, sanctions occidentales, intégration de Kiev à l’Union européenne. Donald Trump semble accéder à la plupart des exigences russes.
À l’occasion d’une réunion à Bruxelles du groupe de contact sur l’Ukraine, le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth a donné le ton sur les contours de l’accord porté par Washington. « Nous voulons, comme vous, une Ukraine souveraine et prospère. Mais nous devons commencer par reconnaître que le retour aux frontières de l’Ukraine d’avant 2014 est un objectif irréaliste. La poursuite de ce but illusoire ne fera que prolonger la guerre et causer davantage de souffrances », a-t-il affirmé mercredi avant de poursuivre que « son adhésion à l’Otan » était exclue « de tout futur accord de paix ».
Sur la question des garanties de sécurité pour l’Ukraine, Pete Hegseth a jugé que les possibles forces armées déployées sur le terrain pour assurer la paix devraient être fournies par des « troupes européennes et non européennes compétentes » mais qui « ne viendraient pas des États-Unis ».
À Munich, des premières négociations
En Allemagne, la conférence annuelle sur la sécurité, qui débute vendredi à Munich et se tient jusqu’au 16 février, apparaît comme la première étape diplomatique. Avec le vice-président J.D. Vance, l’émissaire spécial américain sur l’Ukraine, Keith Kellogg, le secrétaire à la Défense Pete Hegseth et le secrétaire d’État Marco Rubio, les principaux membres de l’administration américaine seront présents.
Cette imposante délégation a prévu plusieurs rencontres notamment avec l’administration ukrainienne. Un tête-à-tête aura lieu entre le président Volodymyr Zelensky et J.D. Vance dès vendredi alors que Keith Kellogg devrait se rendre à Kiev après Munich. « Plusieurs entretiens devraient également se tenir avec les Européens. La question de leur rôle dans le futur accord de paix apparaît primordiale. Mais faute d’unité, les États-Unis devraient parvenir à imposer leur choix », glisse un diplomate, contacté par l’Humanité.
Pour Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe, « ce n’est pas un hasard si cette accélération a lieu quelques heures avant le sommet de Munich avec de nombreuses rencontres informelles. Au sortir de cette séquence, nous devrions savoir si le format demeure bilatéral entre les États-Unis et la Russie ou si l’Ukraine et l’Europe sont associées ».
L’élargissement de l’Otan à l’Ukraine fait partie des lignes rouges pour Moscou et des garanties de sécurité pour Kiev devraient être abordées. Le secrétaire général de l’Alliance, Mark Rutte, a semblé gêné. Face aux concessions américaines, qui seront débattues « dans les jours et les semaines à venir », il a souligné qu’« il y a aussi une convergence claire qui émerge : nous voulons tous la paix en Ukraine, plutôt tôt que tard » mais Kiev doit être « étroitement engagée » dans toute négociation.
L’Ukraine et Zelensky au pied du mur ?
Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche les Ukrainiens s’attendaient à des moments compliqués. La fatigue, la situation sur le terrain, la baisse du soutien militaire et financier laissaient imaginer d’inquiétants pourparlers. « Nous ne sommes pas surpris. Cette guerre est la nôtre. Nous subissons l’agression russe et un face-à-face entre deux puissances : les États-Unis et la Russie. Si nous sommes habitués à ce marchandage, le débuter avec l’agresseur et accepter l’ensemble de ces demandes reste difficile à supporter. Après trois années de guerre et de destructions, nous sommes usés et chacun veut la paix. Mais pas de cette manière », réagit un habitant de Kharkiv, joint par téléphone.
Les récentes déclarations du président Volodymyr Zelensky trahissaient déjà un changement stratégique et des concessions à venir. Mardi, le dirigeant qui avait confirmé être prêt à des négociations avec la Russie affirmait que, si le président américain parvenait à amener l’Ukraine et la Russie à la table des négociations, « nous échangerons un territoire contre un autre ». Volodymyr Zelensky avait également accepté, en échange d’un soutien américain, de céder à Washington des ressources naturelles, notamment des terres rares.
Néanmoins, sur les garanties de sécurité, Kiev a répété récemment : « Sans l’Amérique, elles ne sont pas assurées ». La réponse de Washington : « Ce sont les Européens qui devront s’en charger », a déjà prévenu Michael Waltz, secrétaire américain à la Sécurité nationale. Pire, le président Trump a estimé qu’il n’écartait pas le président Zelensky de ce processus, « tant qu’il est là ». Mais « à un moment donné, il faudra aussi organiser des élections ».
La fin du cordon sanitaire autour de la Russie
L’appel entre Donald Trump et Vladimir Poutine marque un « processus de dégel » des relations entre les États-Unis et la Russie. « Les tabous tombent. L’administration Trump fissure le bloc occidental qui avait dressé un cordon sanitaire autour de Vladimir Poutine, note Igor Delanoë. Mais c’est l’asymétrie qui s’avère prépondérante dans ce dossier. Le président des États-Unis veut mettre rapidement un terme à la guerre et obtenir un prix Nobel. Vladimir Poutine, lui, n’a pas atteint ses objectifs. Sur le terrain militaire, il n’a pas remporté la guerre et peut être intéressé par une victoire diplomatique ».
Au sein de l’opinion russe, de nombreux sondages pointent que plus de 50 % de la population soutiennent des négociations de paix. De son côté, le président russe cherche, outre une paix en Ukraine, à obtenir un dialogue global sur les questions de sécurité.
À l’aune d’une quatrième année de guerre sur le sol européen, les Vingt-Sept sont mis à l’écart des négociations. À la question de savoir si ces derniers allaient participer aux pourparlers, Karoline Leavitt, porte-parole de la Maison-Blanche, a répondu : « Je n’ai aucun pays européen impliqué pour le moment ».
Pour Jean de Gliniasty, « c’est dramatique. Une bonne partie de l’Europe se pliera aux injonctions américaines. La question des garanties de sécurité pour l’Ukraine reste la principale difficulté. L’Europe apparaît comme l’une des clefs avec l’intégration à l’Union européenne et la possibilité de forces, ou missions sécuritaires. Il est dommageable qu’aucune puissance européenne n’ait anticipé cette accélération diplomatique largement prévisible. La France n’apparaît plus être une force de dialogue dans ce dossier », constate, amer, l’ancien ambassadeur de France en Russie.
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