Quand la Cour suprême fait sauter les contre-pouvoirs et livre les États-Unis à l’autoritarisme de Donald Trump

Donald Trump vient de vivre le mois le plus politiquement prolifique depuis son retour à la Maison-Blanche. Notamment grâce à la Cour suprême, qui rend traditionnellement ses décisions en juin. La « saison » judiciaire s’est soldée par un flot de victoires que les républicains n’avaient pu remporter dans les tribunaux de rang inférieur ou dans les assemblées élues.

Le vendredi 27 juin est même à marquer d’une croix rouge sur le calendrier trumpiste. Ce jour-là, la plus haute instance judiciaire du pays a fait d’une pierre deux coups. Elle a d’abord décidé de limiter le pouvoir des juges fédéraux, ce qui constitue une grande première dans l’histoire du pays.

Une décision « assurément politique » de la Cour suprême

Concrètement, les juges fédéraux ne pourront plus restreindre par des « ordonnances universelles » l’application de décrets du pouvoir exécutif, ce qui permet à Donald Trump d’avoir les mains libres pour gouverner sans le Congrès.

L’administration Trump avait saisi en urgence la Cour suprême, concernant son décret mettant fin à l’obtention automatique de la nationalité américaine pour tout enfant né sur le territoire des États-Unis, mais bloqué par un juge fédéral.

Elle cherchait moins à défendre la légalité du texte qu’à obtenir que les juges fédéraux ne puissent plus intervenir sur ce type de texte. Et c’est ce que la Cour, composée de six juges conservateurs (dont trois nommés par Donald Trump) sur neuf, lui a accordé.

Lorsque des juges fédéraux avaient suspendu des décrets de l’administration Biden, notamment sur la vaccination obligatoire, la Cour était restée impassible. Elle n’a donc pas pris une décision en droit mais « assurément politique », pour Anne Deysine, juriste et américaniste, interrogée par Le Monde.

L’offensive de Donald Trump contre le droit du sol

Le sujet même du décret offre une autre victoire d’ampleur à Donald Trump. Le texte signé par le président américain stipule que les enfants nés de parents ne disposant pas de titre de séjour permanent valable (la fameuse green card), ou n’ayant pas la nationalité américaine, ne deviennent pas citoyens à la naissance.

Cette disposition constitue une violation flagrante du 14e amendement à la Constitution, voté en 1868 après la guerre de Sécession, pour régler le statut des esclaves affranchis par le 13e amendement. Depuis, c’est le droit du sol qui s’applique, confirmé par la loi sur la nationalité de 1940 et la jurisprudence de la Cour elle-même.

Sauf que, désormais, le décret présidentiel va s’appliquer dans les 28 États républicains qui ne l’ont pas contesté en justice. L’enfant né d’une mère disposant d’un titre de séjour à New York sera américain. À Dallas, il ne le sera pas. Cela contribue à élargir encore le fossé qui existe entre les deux Amériques, rouge (républicaine) et bleue (démocrate).

Un pouvoir sans garde-fous

Donc, d’un seul trait de plume, la Cour suprême a remis en cause le principe fondateur des contre-pouvoirs (dont la justice) et écorné un amendement constitutionnel dont l’adoption ou l’abrogation ne peuvent relever que d’un vote du Congrès et d’une ratification de trois quarts des États.

Cela s’apparente à une sorte de coup d’État soft. Les vannes sont désormais ouvertes pour Donald Trump, dont un certain nombre de décrets (licenciement de fonctionnaires, démantèlement d’agences, restriction des droits des personnes transgenres, modification des règles électorales) ont été suspendus par des juges.

Sans contre-pouvoir judiciaire, il va sans doute lancer une autre salve de décrets, immanquablement aussi impopulaires les uns que les autres, mais que l’organe le moins démocratique (neuf juges nommés à vie) d’institutions déjà peu démocratiques (rôle du collège électoral, non-représentativité du Sénat) lui garantit de pouvoir mettre en œuvre.

Trump ou l’avènement d’un monarque républicain

« Nous vivons l’avènement d’une société sans droit, avec la création de zones de non-droit validées par la Cour suprême, alors que les États-Unis se sont construits sur la primauté du droit (rule of law), ainsi que l’avait jugé la Cour suprême en 1974 dans United States vs Nixon : “Personne n’est au-dessus du droit”, pas même le président », commente encore Anne Deysine.

Ce 27 juin a marqué l’apothéose d’une stratégie de longue haleine de la part du mouvement conservateur qui, dès les années 1980, a tenté de transformer la branche judiciaire en bras armé de son projet politique.

Son outil principal a été la Federalist Society, financée par des milliardaires, dont les six juges conservateurs de la Cour ont été ou sont toujours membres. « Les États-Unis sont une République, pas une démocratie », est l’une des antiennes de cette frange ultra de la coalition républicaine. Désormais, c’est une République avec un pouvoir exécutif quasi monarchique.

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