Mort du pape François : place des femmes dans l'Eglise, guerres en Ukraine et à Gaza… Quels dossiers attendent le prochain souverain pontife ?

Un chapitre crucial pour l'Eglise catholique s'ouvre après la mort du pape François, lundi 21 avril. Perçu à son élection en 2013 comme un souverain pontife de transition, Jorge Mario Bergoglio a surpris en engageant le Vatican sur des voies nouvelles. Il n'a ainsi pas hésité à amorcer une ouverture sur des sujets sociétaux sensibles pour une partie des fidèles et des prélats catholiques, tels que la place des femmes, le statut des divorcés et des homosexuels. Mais cette entreprise de modernisation, inédite, s'est heurtée à de vives oppositions en interne, et de nombreux chantiers restent inachevés

Après douze années d'un pontificat marqué par une quête délicate d'équilibre entre tradition et volonté de réforme, le successeur du jésuite argentin choisira-t-il de poursuivre dans cette direction ou au contraire de revenir sur ces avancées ? Franceinfo liste les dossiers brûlants qui attendent le prochain pape.

La lutte contre les violences sexistes et sexuelles

La pédocriminalité a été l'un des dossiers les plus sombres du pontificat de François. Le pape a vu les scandales éclater en série dans le monde entier, un fléau qu'il a décrit en 2023 comme "l'un des plus grands défis de l'Eglise en notre temps", comme le rapporte Le Monde. Le pape François a convoqué en 2019 un sommet mondial inédit au Vatican sur la protection des mineurs, levé le secret pontifical sur les cas d'abus sexuels sur les enfants et réformé le droit canonique pour y inclure explicitement les crimes sexuels. Des prélats ont été sanctionnés.

Pourtant, des zones d'ombre subsistent : le souverain pontife n'a ainsi jamais rencontré les membres de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise, créée à la demande de la conférence des évêques de France, qui avait produit un rapport accablant sur la situation dans le pays en 2021. En outre, le secret de la confession reste intact. Et l'absence de reconnaissance papale du caractère systémique du problème a nourri les critiques. Le prochain pape sera confronté aux attentes des associations et des victimes, qui exigent de l'Eglise qu'elle s'attaque à l'impunité, en imposant notamment des mécanismes de contrôle indépendants. 

La place des femmes dans la gouvernance de l'Eglise

Depuis le synode ouvert en 2021, le pape François a amorcé un virage dans la gouvernance de l'Eglise, en y intégrant des femmes et des laïcs, une première historique. Sous son pontificat, la part de femmes dans l'administration du Saint-Siège est passée de 19,2 % à 23,4 %, selon Vatican News. Des figures comme Barbara Jatta, nommée à la tête des musées du Vatican, ou sœur Raffaella Petrini, secrétaire générale du Vatican, symbolisent cette timide avancée. Mais si le jésuite a salué le "génie féminin" en 2016, comme le rapporte Ouest France, il a pourtant continué de verrouiller aux femmes l'accès aux fonctions sacrées : pour elles, pas de prêtrise et pas de diaconat. En 2023, il est allé jusqu'à asséner que la question avait déjà été tranchée par Jean-Paul II, qui avait "fermé la porte", selon des propos relayés par l'hebdomadaire chrétien La Vie. Ce refus persistant d'ordonner des femmes a déçu les progressistes tout en rassurant les conservateurs.

Le successeur de François héritera d'un chantier ouvert, où la question du rôle des femmes reste centrale. Il devra ainsi composer avec les lignes rouges tracées par son prédécesseur, notamment sur l'avortement, comparé à une forme d'eugénisme "en gants blancs" par le pape François en 2018. Comme le souligne la journaliste Bénédicte Lutaud auprès de TV5 Monde, si "François a enclenché un nouveau regard sur les femmes (…) au sein du Vatican", leur pouvoir reste encore largement symbolique. "Certes, le débat a été relancé, mais pourquoi ne va-t-on pas plus loin ? De peur que cela ouvre la porte à la prêtrise ?", s'interroge-t-elle.

La diplomatie vaticane dans un monde fracturé

Chef spirituel, mais aussi chef d'Etat, François s'est employé à donner à la diplomatie vaticane un rôle central sur la scène mondiale. Surnommé le pape "du bout du monde", le premier souverain pontife élu hors d'Europe a fait de ses 47 voyages apostoliques internationaux la vitrine d'une Eglise tournée vers les marges.

Irak, Centrafrique… Il a privilégié les terres de conflits. En 2014, le Vatican a facilité le rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis. Le jésuite a aussi marqué l'histoire par sa visite à Bagdad en 2021, incarnant un dialogue interreligieux rare avec l'islam chiite. Mais son bilan reste contrasté, en particulier sur l'Ukraine, où ses appels répétés à la paix sont restés lettre morte. En 2024, son exhortation à "hisser le drapeau blanc" a même déclenché un tollé diplomatique.

L'accord avec la Chine, signé en 2018 et reconduit jusqu'ici, continuera à être un enjeu majeur, alors que le pape a échoué à normaliser les relations entre le Vatican et Pékin autant qu'il l'aurait voulu, comme l'explique France Inter. Le dialogue avec Moscou, distendu par la guerre en Ukraine et le soutien de l'Eglise orthodoxe russe à Vladimir Poutine, reste aussi à réinventer, alors que le président russe a annoncé qu'il ne se rendra pas aux funérailles du pape. 

Le futur souverain pontife aura aussi à se positionner dans les équilibres complexes du Proche-Orient. François avait pour sa part multiplié les appels au cessez-le-feu dans la bande de Gaza. Il avait aussi appelé dans un livre à une "enquête approfondie" sur la situation dans l'enclave palestinienne, afin de déterminer si elle revêt "les caractéristiques d'un génocide", provoquant l'ire des autorités israéliennes.

Des divisions internes croissantes

En douze ans de pontificat, François a bousculé l'appareil institutionnel de l'Eglise comme peu de ses prédécesseurs. Il a repensé la Curie romaine pour renforcer la décentralisation et donner plus de poids aux églises locales, notamment via une nouvelle Constitution apostolique entrée en vigueur en 2022.

Parallèlement, il s'est attaqué aux pratiques financières du Vatican, via notamment la création d'un secrétariat pour l'Economie ou l'assainissement de la Banque du Vatican avec la suspension de 5 000 comptes suspects. Mais ses réformes ont aussi cristallisé des tensions. La limite de la pratique de la messe en latin en 2021 a déclenché une levée de boucliers chez les traditionalistes, tout comme l'autorisation des bénédictions de couples de même sexe en 2023. 

Pour son successeur, l'enjeu majeur sera de maintenir l'unité d'une institution polarisée. La fracture entre conservateurs et réformateurs, exacerbée sur des questions de société et de gouvernance, menace la cohésion du monde catholique. Certaines églises d'Afrique ou d'Amérique latine rejettent les évolutions sur l'accueil des personnes de même sexe, tandis que d'autres, en Europe ou en Amérique du Nord, espèrent un approfondissement des réformes. "La marge de manœuvre [du pape] était quand même assez limitée", souligne l'historien Charles Mercier à l'AFP, rappelant le risque de schisme latent. Le successeur de Jorge Mario Bergoglio pourrait être amené à faire des choix clairs : prolonger l'élan initié ou refermer les portes entrouvertes.