REPORTAGE. "Des gens vont mourir à cause de cette administration" : aux Etats-Unis, d'anciens employés de la santé publique alertent sur les décisions de Donald Trump
C'était un pilier de la santé publique aux Etats-Unis : le CDC, le centre pour la prévention et le contrôle des maladies, s'est retrouvé dans le collimateur de l'administration Trump, comme d'autres agences gouvernementales. En six mois, 25 % des effectifs ont été supprimés, la patronne renvoyée, son budget doit être divisé par deux. À Atlanta, où se trouve son siège, les salariés encore sous le choc dénoncent des conséquences dramatiques pour la santé des Américains.
Pendant 17 ans, Sarah DeGue a travaillé comme chercheuse au CDC sur la prévention de la violence des jeunes. Jusqu'à ce 1er avril 2025 : "On a tous reçu un mail qui disait simplement : 'c'est fini', 't'es viré'. Sans aucune explication"."J'étais en télétravail, se souvient-elle. Je ne suis jamais retournée au bureau. On n'a même pas eu le temps d'essayer de sauver notre travail, de transférer nos projets à d'autres personnes."
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Les trois quarts de son service ont été remerciés. "Je pense qu'aujourd'hui, au sein du gouvernement fédéral, plus personne ne travaille sur la prévention de la violence", constate la jeune femme, qui pourtant, s'en sort mieux que d'autres : elle est devenue consultante indépendante.
Une agence politisée
Mais l'agence sanitaire publique pour elle, c'est fini. "Presque tous nos dirigeants sont partis. Il ne reste que des politiques qui n'ont absolument aucune expertise en santé publique, en sciences... ou même en matière de gouvernement ! Autant vous dire qu'on n'a pas beaucoup d'espoir", se désole-t-elle. Elle poursuit : "Même si on recommençait tout maintenant, il nous faudrait 10 ou 20 ans pour faire revenir le CDC au niveau où il était il y a huit mois".
"Parce que vous n'allez pas retrouver comme ça toutes les décennies d'expertise de personnes qui ont été forcées de prendre leur retraite ou de quitter leur emploi."
Sarah DeGue, ancienne travailleuse au CDCà franceinfo
Pour ne pas laisser l'institution mourir en silence, tous les mardis, depuis six mois, d'anciens salariés s'installent avec leurs pancartes devant le siège de l'agence, au nord-est d'Atlanta, et demandent aux automobilistes de klaxonner en signe de soutien. Karen a travaillé pendant 33 ans au service de la sécurité des vaccins. Sur sa pancarte, elle a écrit à la main : "La santé publique… Ça compte !". "Parce que, explique-t-elle, ce sont évidemment les plus défavorisés qui vont trinquer. C'est pour ça qu'il faut se lever et s'exprimer !"
"On a ce pour quoi on a voté"
"Réduisez le budget de plus de 50 %, supprimez un quart du personnel… Et vous êtes sûrs de rendre l'Amérique à nouveau malade", complète Michael Beech, ancien directeur adjoint de la Division des maladies d'origine alimentaire, hydrique et environnementale au CDC. Un détournement du slogan "Rendre l'Amérique en bonne santé" – MAHA, "Make America Healthy Again" – porté par Robert F. Kennedy Jr., le nouveau secrétaire à la Santé notoirement antivaccin, qui fat référence au MAGA, – "Make America Great Again" – de Donald Trump.
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"Tout ce que le gouvernement précédent faisait pour aider les habitants de ce pays est en train d'être démantelé. C'est idéologique. On a ce pour quoi on a voté... Sauf que la plupart des électeurs de Trump n'étaient pas bien informés, ils n'ont pas réalisé à quel point ce serait grave", regrette Michael Beech.
Le CDC intervient aussi hors des États-Unis, dans la lutte contre les maladies infectieuses émergentes, sur des programmes de vaccination ou de coopération internationale. "Des gens vont mourir à cause de cette administration", dit une autre manifestante. "On l'a vu, déjà, quand ils ont réduit les financements de la santé à l'étranger : on suivait des personnes qui étaient soignées contre la tuberculose. Leur traitement s'étale sur six mois. Du jour au lendemain, il n'y a plus eu de traitement, elles ont du tout arrêter. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut stopper ou reprendre d'un claquement de doigts ! Il faut respecter le calendrier, sinon vous développez des maladies multirésistantes… Et vous pouvez mourir", s'alarme-t-elle.
Reprise du tabagisme chez les jeunes
Avant de quitter l'agence, en janvier dernier, Kathleen Ethier a dirigé au cours de sa carrière différentes unités au sein du CDC. Elle anticipe les conséquences dévastatrices de cette reprise en main : sur la couverture vaccinale, la prévention des maladies chroniques, le dépistage des cancers ou la montée du tabagisme. Car l'État ne finance plus aucun programme d'accompagnement à l'arrêt du tabac. "Donc on sait qu'on va avoir une augmentation du nombre de fumeurs, en particulier chez les jeunes.
"Ça veut dire qu’on va aussi augmenter la probabilité que des gens meurent de maladies chroniques, alors qu’on avait réalisé d'énormes progrès au cours des 15 ou 20 dernières années."
Kathleen Ethier, ancienne directrice au CDCà franceinfo
Les salariés ont, sans illusion, porté leur cas devant la justice. Ils réclament aussi le retour des mêmes financements que l'an dernier (9,25 milliards de dollars), alors que le budget 2025 – 2026 est examiné en ce moment devant le Congrès. Avec là encore peu de chances de succès.
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Dans une tribune publiée lundi 1er septembre dans le New York Times, neuf anciens dirigeants du CDC se demandent si dans ce contexte, les États-Unis seront encore capables demain de faire face à une nouvelle urgence de santé publique comme une pandémie. La CDC avait notamment été en première ligne pendant le Covid.