Le nouveau pape venu des Etats-Unis, Léon XIV, est-il l'anti-Trump ? On a posé la question à un spécialiste du catholicisme américain
Donald Trump a-t-il trouvé, en la figure de Léon XIV, une source de fierté ou un adversaire ? Pour la première fois, un cardinal venu tout droit des Etats-Unis, Robert Francis Prevost, a été élu pape, jeudi 8 mai. Avant d'être choisi par un conclave composé de 133 cardinaux électeurs, le successeur du pape François, tenant d'une ligne modérée et humaniste, a été très actif sur les réseaux sociaux pour s'opposer à la politique du nouveau président américain et de son administration. Ces dernières semaines, il n'a pas hésité à affirmer sur X que le vice-président américain "J.D. Vance a tort" ou encore que les expulsions de migrants décidées par Donald Trump "portaient atteinte à la dignité de nombreux hommes et femmes".
Comment interpréter, dans ce contexte, sa désignation par les cardinaux ? Professeur de théologie à l'université américaine de Villanova (où le nouveau pape a obtenu un bachelor en mathématiques en 1977), auteur de l'ouvrage De Dieu à Trump. Crises catholique et politique Américaine (éditions Scholé), Massimo Faggioli décrypte, pour franceinfo, la signification d'une telle élection, alors que les Etats-Unis sont traversés, depuis plusieurs années, par un courant catholique conservateur dans lequel s'inscrit pleinement le vice-président J.D. Vance.
Franceinfo : Que représente l'élection du premier pape venu des Etats-Unis pour le monde ?
Massimo Faggioli : Cette élection, c'est la fin d'un tabou. Nous pensions, jusqu'à quelques jours avant le début du conclave, qu'il était impossible possible d'avoir un pape américain. Historiquement, il est très compliqué d'avoir à la fois la superpuissance mondiale et la superpuissance religieuse mondiale entre les mains des citoyens de cette même superpuissance. Il fallait donc, pour la papauté, maintenir une certaine distance avec les Etats-Unis.
Cette élection, c'est aussi une réponse à la tentative qui a pris corps ces dernières années aux Etats-Unis de rendre le catholicisme plus américain. Le conclave y a répondu en nommant un pape américain, certes, mais qui ne défend en aucun cas une version américaniste ou nationaliste du christianisme. Il sera ainsi très important pour le nouveau pape de faire valoir qu'il n'est en aucun cas absorbé par l'agenda politique catholique américain.
Quel est le poids de Donald Trump dans cette élection ?
Le président Donald Trump a, d'une manière surprenante, rebattu les cartes, tant il a brisé des tabous ces dernières semaines. Il a complètement bouleversé l'Amérique et l'ordre mondial. Avec son action, les Etats-Unis ne sont plus un pays exceptionnel, mais un pays qui a les mêmes problèmes avec la démocratie que la Hongrie ou la Turquie. De quoi faire descendre le pays de son piédestal et décomplexer le conclave pour permettre l'élection d'un pape américain.
Par ailleurs, est-ce que les Etats-Unis sont toujours des alliés de l'Europe et de l'Otan ou sont-ils devenus des alliés de la Russie ? Ce n'est plus très clair. De son côté, le catholicisme n'est plus identifié uniquement comme une religion des pays de l'Ouest [avec la montée en puissance des Eglises en Afrique et en Asie, notamment]. Pour résumer, les deux puissances ont évolué dans des directions différentes. Pour moi, le choix du conclave est donc avant tout le signal qu'il existe, pour le Vatican, une véritable rupture entre le XXe et le XXIe siècle.
Le nouveau pape, Léon XIV, est-il l'anti-Trump ?
Les deux hommes sont indéniablement très différents sur les sujets de l'immigration, de la justice sociale, de la peine de mort, des relations internationales ou encore de l'aide étrangère.
Mais je pense qu'il peut y avoir moins de distance entre les deux hommes sur des sujets comme le genre ou encore l'homosexualité. Pour le moment, nous ne savons que ce qu'il a dit il y a plusieurs années, nous ne connaissons pas encore ses positions en tant que pape. Mais les premiers signaux nous laissent à penser que, même s'il n'est pas un conservateur, il s'agit tout de même d'un pape plus centriste que son prédécesseur François.
Ce nouveau pape est donc un test à la fois pour les catholiques conservateurs américains, mais aussi pour les catholiques libéraux, qui avaient relativement, avec la figure du pape François, ce qu'ils souhaitaient. Léon XIV, lui, pourrait prendre des décisions différentes sur certains sujets, comme sur la liturgie, sur la messe latine, par exemple, et donc adopter des décisions qui vont "challenger" à la fois les catholiques de droite et les catholiques de gauche, de manière différente pour chacun.