Insuffisant, cher, dangereux pour la population... Pourquoi le largage aérien d'aide humanitaire sur la bande de Gaza est critiqué par des ONG
Une pluie de parachutes sur la bande de Gaza. Emmanuel Macron a annoncé vendredi 1er août les premiers largages d'aide humanitaire de 40 tonnes promis par la France, afin de venir en aide aux populations affamées. "Les largages ne suffisent pas. Il faut qu'Israël ouvre un plein accès humanitaire pour répondre au risque de famine", a ajouté le président. Plus tôt dans la semaine, le Royaume-Uni et la Belgique avaient également déclaré s'engager dans des opérations similaires, sous la supervision de la Jordanie et des Emirats arabes unis.
L'enclave palestinienne fait l'objet d'un blocus "total et absolu" par l'armée israélienne depuis mars 2025, a écrit le 2 juin le Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies. Face à la pression internationale, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou a finalement décrété dimanche une "pause tactique" quotidienne des hostilités dans certaines parties du territoire, afin d'y acheminer de l'aide humanitaire. Ainsi, les largages aériens ont repris dans la nuit de samedi à dimanche, a annoncé un organisme du ministère de la Défense israélien en charge des affaires civiles dans les Territoires palestiniens (Cogat) sur X. Toutefois, cette pratique est sévèrement remise en question par les ONG humanitaires, dont franceinfo a interrogé plusieurs responsables.
Des besoins chiffrés à 62 000 tonnes d'aide par mois
"C'est inefficace, inadapté et cher", fustige Helena Ranchal, directrice des opérations internationales pour Médecins du monde. "Ça part d'une bonne intention, mais c'est complètement insuffisant", tranche de son côté Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes et conflits à Amnesty International. Selon le site de l'Unicef, il faut "plus de 62 000 tonnes d'aide vitale tous les mois pour répondre aux besoins essentiels en matière d'aide alimentaire et nutritionnelle de l'enclave".
Dans la bande de Gaza, qui concentre un peu plus de 2 millions d'habitants, plus d'un tiers de la population (39%) passe plusieurs jours sans rien manger, tandis qu'un quart vit "dans des conditions proches de la famine", précise l'Unicef. Sur X, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) chiffre les besoins des Gazaouis à 500, voire 600 camions quotidiens. C'est "le nombre de camions qui entrait chaque jour à Gaza, avant le 7 octobre 2024", souligne auprès de franceinfo Pierre Motin, responsable de plaidoyer pour la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine. "La quantité larguée par la France correspond à deux camions d'aide humanitaire. Ce n'est vraiment rien. Ça ne correspond même pas à 1% des besoins de la population pour une journée", déplore-t-il.
Que contiennent ces colis largués par les airs ? "Dans une palette d'une tonne, on retrouve des céréales, du riz, des lentilles, des boîtes de conserve, des pastilles pour rendre l'eau potable, des légumes à gousse qui résistent au choc", détaille Aymeric Elluin, d'Amnesty International. Mais les quantités larguées sont beaucoup moindres que ce qui pourrait être acheminé par la route, souligne-t-il. "Un convoi de cinq camions représente 100 tonnes d'aide. Or il y a une centaine de camions bloqués à Al-Arich [Egypte]. Il suffirait qu'ils entrent pour apporter non seulement de l'aide alimentaire, mais aussi des biens de première nécessité, comme des kits d'hygiène, du lait en poudre, de l'eau potable et du carburant", illustre-t-il.
"Ce n'est pas en faisant des largages par-ci, par-là, qu'on arrivera à compenser les restrictions à l'aide humanitaire imposées par les Israéliens."
Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer à Amnesty Internationalà franceinfo
Par ailleurs, ces parachutages peuvent également constituer un danger pour les populations. En mars 2024, la chute d'un colis d'aide humanitaire dans le camp de réfugiés d'Al-Chati, à l'ouest de Gaza, a tué cinq personnes et fait dix blessés. "Le parachute ne s'est pas ouvert et la cargaison est tombée comme une roquette sur le toit d'une des maisons", avait témoigné auprès de l'AFP Mohammed al-Ghoul, un habitant du camp. A la même période, 18 Palestiniens sont morts, dont 12 noyés en tentant de récupérer de la nourriture parachutée en mer, et six lors de bousculades. Le Hamas avait alors appelé à cesser ce type d'opérations.
"Moins de 15% du territoire de Gaza est accessible à la population", rappelle auprès de franceinfo Amande Bazerolle, coordinatrice d'urgence pour Médecins sans frontières (MSF) dans l'enclave. "Soit les largages se font dans des zones densément peuplées, ce qui les rend dangereux, soit ceux-ci se font dans des zones d'évacuation, ce qui fait courir un risque à ceux qui vont chercher les colis". "On force des personnes se trouvant déjà dans une situation précaire à faire des choix inhumains : mourir de faim ou prendre une balle", dénonce Helena Ranchal.
La peur des gangs
"Il y a deux jours, nous avons reçu 15 blessés dans l'un de nos hôpitaux après un largage de colis alimentaire, raconte Amande Bazerolle. Comme il n'y en avait pas assez pour tout le monde, cela a créé des tensions entre des gens affamés et désespérés qui essayaient de les récupérer." Au milieu de ces mouvements de foule chaotiques, la loi du plus fort s'applique.
"On a sûrement de nouveaux gangs qui risquent de se mettre en place, avec des pillages", anticipe en outre la cheffe de mission chez MSF, qui rappelle qu'"en l'absence d'ordre public, il se crée toute une économie de guerre avec des gens qui se font du sucre sur le dos de la population". "Ce largage de manière indiscriminée n'est pas idéal, car l'un des principes de l'aide humanitaire est de la distribuer le plus équitablement vers les populations les plus vulnérables", à savoir les femmes, les enfants et les personnes âgées, relève Pierre Motin.
Autre enjeu de sécurité : la santé des Gazaouis."Il y a énormément de choses qu'on ne peut pas larguer, comme du matériel médical, du paracétamol ou des compléments alimentaires pour les enfants mal nourris", déroule Helena Ranchal. En laissant passer les camions, "on peut tout faire entrer de façon coordonnée et sécurisée, acheminer les médicaments vers les centres de santé", plaide-t-elle. Amande Bazerolle partage cet avis : "Si des personnes sévèrement malnutries récupèrent de la nourriture, cela peut leur être fatal. Il faut que les acteurs humanitaires aient accès à des points de distribution pour prendre ces patients en charge, afin de les accompagner dans leur renutrition."
Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, a évoqué vendredi sur franceinfo "quatre vols emportant chacun 10 tonnes de fret humanitaire au départ de la Jordanie". Une opération périlleuse : "Les avions opèrent dans un espace aérien contrôlé par Israël. Il s'agit d'un largage en terrain hostile, une zone de conflit armé", souligne Aymeric Elluin. "Il y a aussi les conditions liées au vol. S'il y a trop de vent, cela risque de faire dévier les palettes de leur cible initiale, sachant que la précision du largage est de 50 à 100 mètres", précise le responsable humanitaire. Contactés au sujet du déroulement des opérations de largage, le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Armées français n'ont pas donné suite à nos sollicitations.
"Sept fois plus cher que par la route"
A ces facteurs de risque s'ajoute le coût de l'opération. Selon une note du Programme alimentaire mondial de l'ONU (PAM) de 2021, "l'acheminement de nourriture par avion coûte jusqu'à sept fois plus cher que celui effectué par la route". L'organisme humanitaire réalise donc "en dernier recours" des largages, par exemple dans les zones reculées du Soudan du Sud.
"De la part du gouvernement d'Israël, il est cynique d'autoriser des largages, alors qu'il est en son pouvoir de laisser l'aide entrer librement dans la bande de Gaza", juge Pierre Motin. Pour justifier le blocus, l'Etat hébreu a accusé à plusieurs reprises le Hamas de détourner l'aide humanitaire à des fins militaires. Interrogés par le quotidien américain The New York Times, des officiers de l'armée israélienne ont finalement reconnu fin juillet qu'aucune preuve en ce sens n'existait, confirmant les conclusions de l'agence gouvernementale américaine pour le développement (Usaid).