En Pologne, un choix présidentiel décisif pour l’avenir européen du pays

Un scrutin décisif. Les Polonais sont appelés aux urnes, dimanche 1er juin, pour élire leur président, une élection dont le résultat pourrait influencer la trajectoire politique de la Pologne, tant sur le plan national qu'européen. Le résultat s'annonce extrêmement serré entre Rafal Trzaskowski, actuel maire libéral de Varsovie et proche du Premier ministre Donald Tusk, et Karol Nawrocki, historien conservateur soutenu par le parti Droit et Justice (PiS). 

Si le président polonais exerce un pouvoir essentiellement honorifique, il détient un pouvoir de veto déterminant. Et dans un contexte où la coalition de Donald Tusk ne dispose pas de la majorité pour le contourner, l'élection pourrait conditionner la capacité du gouvernement à faire passer ses réformes. 

Depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Tusk en décembre 2023, la Pologne tente de tourner la page des années PiS, durant lesquelles les tensions avec Bruxelles s'étaient multipliées. Élu sur la promesse de restaurer l'État de droit, Donald Tusk a initié un rapprochement accéléré avec l'UE. Ce virage pro-européen a permis le déblocage de plus de 137 milliards d'euros de fonds européens

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Le retour de l'État de droit en question 

Mais le processus de normalisation avec Bruxelles ne pourra être complet que si le gouvernement parvient à mettre en œuvre des réformes clés – en particulier la fin de la politisation du système judiciaire – qui ont jusqu'à présent été bloquées par le président sortant, Andrzej Duda, fidèle au PiS.   

En cas de victoire de Rafal Trzaskowski, les libéraux espèrent ainsi relancer ce projet. "Rafal Trzaskowski et Donald Tusk viennent du même camp et partagent la même vision sur la nécessité d'assainir l'appareil judiciaire", souligne Marta Prochwicz-Jazowska, politologue et analyste au German Marshall Fund. "Si des nuances d'approche peuvent exister, l'alignement stratégique est clair, notamment sur les grandes réformes structurelles." 

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Pourtant, le chantier reste semé d'embûches. Dorota Dakowska, professeure de science politique à Sciences Po Aix et spécialiste de l'Europe centrale et orientale, rappelle que "tant que les juges nommés par les gouvernements précédents sont en poste, et que certains tribunaux sont contestés quant à leur légitimité, l'assainissement du système judiciaire reste extrêmement complexe". 

À l'inverse, une victoire de Karol Nawrocki renforcerait l'obstruction. "Il pourrait aller plus loin que Duda dans le blocage des réformes, accentuant la polarisation et affaiblissant la coalition de Tusk en vue des législatives de 2027", estime Dorota Dakowska. "C'est un risque pour l'État de droit et pour la stabilité du processus gouvernemental." 

"Dialogue" ou "souverainisme" 

Sur le plan diplomatique, le fossé entre les deux candidats est tout aussi marqué. Rafal Trzaskowski plaide pour une Pologne ancrée dans "le dialogue européen communautaire", tandis que Karol Nawrocki défend une "Europe des nations plus souverainistes", soulève Dorota Dakowska. "Il risque de jouer l'obstruction lorsqu'il s'agira d'approfondir la coopération, même sur des thèmes comme la défense européenne." 

Si les deux candidats s'accordent à désigner la Russie comme agresseur et à soutenir Kiev face à Moscou, leurs approches sur la guerre en Ukraine divergent nettement. Une victoire de Rafal Trzaskowski consoliderait la coopération avec les alliés occidentaux, tels que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. "La Pologne pourrait être plus disposée à parler de la présence de personnel polonais non militaire à des fins de formation en Ukraine ou d'une autre aide logistique", note Marta Prochwicz-Jazowska. 

Karol Nawrocki, lui, mise sur une coopération plus régionale avec les pays de l'est et du nord de l'Europe, et une alliance prioritaire avec Washington. Admirateur de Donald Trump, il s'est affiché à ses côtés. Mercredi, Kristi Noem, proche du président américain et actuelle secrétaire à la Sécurité intérieure, a même appelé les Polonais à voter pour le candidat nationaliste lors d'un congrès de la CPAC (Conservative Political Action Conference) en Pologne, qualifiant son rival de "désastre absolu". 

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Par ailleurs, Karol Nawrocki exploite un sentiment anti-ukrainien polonais à l'égard des réfugiés et n'hésite pas à critiquer vivement Kiev et ses projets d'adhésion. "Karol Nawrocki refuse notamment l'idée d'une adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, ce qui le rapproche du discours de Vladimir Poutine", observe Dorota Dakowska. "Son positionnement, en tant que président, pourrait donc modifier le ton du soutien polonais à l'Ukraine." 

Troisième du premier tour avec près de 15 %, Slawomir Mentzen, candidat de l'extrême droite libertarienne (Konfederacja), a tenté de peser sur l'entre-deux-tours sans donner de consigne de vote. Il a invité les finalistes à débattre sur sa chaîne YouTube et publié une déclaration en huit points, dont un veto à l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan. Le candidat du PiS l'a signée, Rafal Trzaskowski a refusé, tout en exprimant des convergences sur certains points. 

Mais l'Europe est-elle vraiment au cœur des préoccupations électorales ? "Les Polonais restent majoritairement favorables à l'UE, conscients de ses bénéfices. Mais ce n'était pas le sujet central pour les électeurs", note Dorota Dakowska. "L'inflation, le coût de la vie et la sécurité passent avant." La campagne, elle, a surtout été dominée par une polarisation extrême. "C'est une élection de haine de l'autre camp plus que de projet", conclut Marta Prochwicz-Jazowska.