INTERVIEW. "Ces jeunes ont une habitude du rapport de force avec les autorités", estime un sociologue, après les violences urbaines qui ont émaillé le sacre du PSG

Des célébrations ternies par d'importants débordements, samedi et dimanche après la victoire du Paris Saint-Germain. Les violences urbaines ont fait un mort et plusieurs blessés, sans compter les nombreux dégâts à Paris, notamment sur les Champs-Elysées. Des faits qui ont multiplié les comparaisons avec d'autres événements sportifs, comme la victoire des Bleus en 1998 ou 2018. "Cette violence peut de moins en moins s'exprimer dans les quartiers pauvres", relève Thomas Sauvadet, sociologue, enseignant-chercheur à l'université Paris-Est Créteil, et auteur de Voyoucratie et travail social : enquêtes dans les quartiers de la politique de la ville (éditions Croquant), paru en 2023.

Franceinfo : Ces débordements prennent-ils davantage d'ampleur ?

Thomas Sauvadet : Depuis la fin des années 70, début des années 80, il y a une évolution assez marquée. En 2007, il y a eu l'utilisation d'armes à feu à Villiers-le-Bel. En 2005, c'était un mouvement national, en 2023 aussi, mais avec un record au niveau des destructions et des capacités de projection. Ce qui est intéressant, c'est que cette violence peut de moins en moins s'exprimer dans les quartiers pauvres. Vous avez beaucoup de quartiers tenus par le narcotrafic, donc vous avez des bandes d'adolescents qui ne peuvent plus faire ce qu'elles faisaient il y a 20 ou 30 ans dans les quartiers. J'ai des témoignages très intéressants avec des adolescents qui disent : 'on ne peut plus être une bande dans le quartier, on est bloqués entre le spot de deal, le gérant du spot et les descentes de police'. Donc ils sortent du quartier, ils sont beaucoup plus mobiles. On l'a vu notamment à Marseille en 2023, ils ont vite quitté les quartiers nord pour aller sur la Canebière. Plus largement, le phénomène a touché des territoires de petites villes qui étaient jusque-là préservés, comme le centre-ville de Montargis, dans le Loiret. Cette année-là a vraiment marqué une rupture.

Ces violences sont-elles, ou non, spécifiques aux rencontres sportives ?

Une partie de la jeunesse, dans les quartiers pauvres, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) - dans mes enquêtes, je l'ai évaluée à environ 10% des garçons et jeunes hommes - est dans des phénomènes de bandes, dans des réseaux de trafics. Ces jeunes ont une habitude du rapport de force avec les autorités, avec la police.

"Ils ont des pratiques et des représentations de voyou. Ils se greffent de plus en plus sur des événements populaires, comme la finale de la Ligue des champions entre Liverpool et Madrid, en 2023, ou comme le sacre du PSG le week-end dernier."

Thomas Sauvadet, sociologue et enseignant-chercheur

à franceinfo

C'était aussi le cas lors des manifestations contre le CPE (contrat première embauche) en 2005-2006, ou encore lors de concerts de rap. Rap et football, ce sont des événements qui attirent ce public-là, des jeunes qui ont l'habitude de passer à l'action et de résister, de fuir ou de provoquer. Et puis de profiter des opportunités économiques qu'il peut y avoir ici ou là, à travers le pillage d'un magasin ou la dépouille d'un supporter de foot ou de n'importe qui d'autre.

Qui sont ces émeutiers ?

Sur ces 10% de jeunes dont je parle dans les QPV, beaucoup sont issus de la première ou deuxième génération de l'immigration. Soit ils sont nés en France avec des parents étrangers, soit ils sont nés à l'étranger dans des familles pauvres, avec souvent des violences familiales, verbales ou physiques, et un apprentissage de la violence qui se fait dans la famille. Il y a aussi chez eux de l'échec scolaire et un niveau scolaire assez bas. Il y a en général le cumul d'un certain nombre de difficultés familiales, scolaires et économiques. Et c'est grâce au groupe qu'il y a la possibilité d'une revanche par rapport à la société, à l'ordre établi, aux institutions, la possibilité de se défouler et de s'enrichir à travers les vols et les pillages. Mais la pauvreté n'explique pas tout. Vous avez des familles immigrées pauvres où il n'y a pas un niveau de violence élevé et où les parcours sont complètement différents.

Mais trouve-t-on aussi d'autres profils ?

Autour de ces 10% de jeunes dans les quartiers pauvres que j'évoque, vous avez des imitateurs. Toute une jeunesse qui n'a pas l'habitude de la violence, mais qui la fantasme, qui s'intéresse à cette culture qui vient de la rue, à travers le gangsta rap, la drill, ou des films, des séries, etc. Ce sont des jeunes qui ne sont pas dans les bandes ou dans des carrières délinquantes, mais qui jouent un peu au voyou au collège, au lycée, et qui avec les réseaux sociaux peuvent venir s'agréger à d'autres. C'est un peu ce qu'il s'est passé avec les émeutes de 2023.