« Bloquons tout » : à gauche, jeunes, politisés… Qui sont les militants du mouvement du 10 septembre ?
Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean Jaurès et docteur en science politique, a mené l’enquête dans les entrailles du mouvement « Bloquons tout » qui doit se mobiliser le 10 septembre. Le portrait-robot dessiné dévoile des contours bien éloignés du mouvement des Gilets jaunes : à gauche, jeune, politisé… Mais pas moins en colère. Entretien.
Qu’est-ce qui différencie « Bloquons tout » du mouvement des Gilets jaunes ?
Le commentaire journalistique classique faisait de ce mouvement un mouvement Gilets jaunes 2.0., alors qu’en termes de profil politique, sociologique ou de valeurs, on n’est pas du tout sur le même public. À l’époque, les Gilets jaunes c’était une mini France précarisée. Là ce n’est pas du tout le cas.
C’est une France diplômée, plus jeune, très marquée à gauche, voire à la gauche radicale : une très large majorité de ses membres ont voté Jean-Luc Mélenchon (69 %) ou Philippe Poutou (10 %). Par ailleurs, seulement 27 % des personnes interrogées disent avoir été un Gilet jaune.
Le seul point de convergence, c’est sur cette volonté de passer d’une démocratie représentative à une démocratie directe. Par exemple, neuf personnes sur dix veulent que le peuple fasse la loi sans passer par des représentants. Ça rejoint le RIC (référendum d’initiative citoyenne), l’un des mots d’ordre des Gilets jaunes.
Vous observez également un très fort taux d’abstentionnistes au second tour de la dernière élection présidentielle…
Au premier tour, il y a moins d’abstentionnistes dans le mouvement « Bloquons tout » que dans l’ensemble de la population française. Ce sont des personnes plutôt mobilisé, très intéressé par les questions politiques. Mais c’est vrai qu’au second tour, 68 % d’entre eux se sont abstenus, en refusant de voter pour Emmanuel Macron ou Marine Le Pen. Ça dit plusieurs choses : que la porosité avec l’extrême droite est quasiment nulle. Et qu’il existe une très forte défiance vis-à-vis d’Emmanuel Macron, et cela bien avant le budget Bayrou.
Quelle est la principale préoccupation des membres de ce mouvement ?
Très largement, la première préoccupation du mouvement est celle des inégalités avec une envie très forte de justice sociale et fiscale. Ensuite viennent les questions de protection de l’environnement, puis, enfin, de pouvoir d’achat.
Globalement, il existe une impression que la politique d’Emmanuel Macron est très injuste, c’est l’une des raisons de la mobilisation, et qu’il faut y répondre par une vision redistributive et critique du système économique. Il est également à noter qu’ils sont très peu à trouver qu’il y a, en France, « trop d’étrangers » ou que « les immigrés ne font pas d’efforts pour s’intégrer ». Ce mouvement n’apparaît donc pas comme transpartisan, bien au contraire, son identité politique de gauche est très marquée.
L’appel de Jean-Luc Mélenchon, cet été, à rejoindre et soutenir le mouvement a-t-il joué dans ce sens ?
J’ai commencé cette étude avant l’appel de Jean-Luc Mélenchon à rejoindre le mouvement et le constat est sans appel : le profil des membres du mouvement, avant et après sa prise de parole, n’a pas vraiment changé. C’était déjà des profils marqués à la gauche radicale.
Néanmoins, je pense que son appel a renforcé une dynamique déjà présente au départ. Il est tout de même à noter qu’au début, des sphères d’extrême droite et souverainistes appelaient au blocage, mais elles ont vite été marginalisées par des profils de gauche radicale. Pourtant, dans les médias, perdure cette idée que l’extrême droite n’est pas loin.
Concernant le profil sociologique des membres du mouvement, vous notez bien moins d’ouvriers que dans le mouvement des Gilets jaunes, mais bien plus de cadres et d’étudiants. À quel type de « blocages » doit-on s’attendre à partir de cette donnée ?
C’est très difficile à dire. J’ai posé une question ouverte aux interrogés : qu’est-ce que vous comptez faire le 10 ? Pour une très large partie, la réponse a été la suivante : « Je ne sais pas », « Je me mettrai au service du mouvement »… Ce qui est étonnant, c’est que le mouvement a un slogan de mobilisation, mais aucun mot d’ordre sur ce qui va être fait concrètement.
Cela peut freiner ses résultats. Par ailleurs, le profil très homogène sociologiquement et politiquement ne va pas permettre de brosser aussi large que le mouvement des Gilets jaunes qui, lui, avait une image éloignée des structures politiques et rassembleuses de profils plus variés.
Pour autant, il est très compliqué de prévoir l’ampleur de ce type de mobilisation. Ce mouvement interviendra deux jours après le vote de confiance de François Bayrou et il peut se passer beaucoup de choses dans ce mois de septembre. Si le premier ministre n’obtient pas la confiance des parlementaires, que va faire le président ?
Sa décision peut être de nature à entraîner davantage de colère. Ce qui est certain, c’est qu’il existe un fond de sauce d’inquiétudes et de peurs qui peut déboucher sur une colère. Il y a une matière sociale extrêmement inflammable. Reste à savoir ce que sera l’étincelle.
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