TEMOIGNAGE. "Ça se faisait à la vue de tout le monde" : ce maire du Var raconte comment le narcotrafic s'est installé dans sa petite commune

Les ministres de l'Intérieur et de la Justice sont à Marseille jeudi 20 novembre pour rencontrer la famille d'Amine Kessaci, une semaine après l'assassinat du petit frère de ce militant écologiste engagé contre le trafic de drogue. Mais le narcotrafic n'est pas que l'affaire des élus de grandes villes. 

Le puissant cartel Sinaloa avait choisi le village du Val, dans le Var, pour stocker sa marchandise, avant qu'elle ne soit saisie en 2024 sous les yeux de son maire Jérémy Giuliano. C'est par le témoignage de ce jeune élu sans étiquette que s'est ouvert le Congrès des maires à Paris, où franceinfo a pu le rencontrer.

Ce matin du 18 juin 2024, Jérémy Giuliano n'est pas près de l'oublier. "Je passe à la mairie puis la gendarmerie m'informe qu'il va y avoir une saisie qui est en train de se mettre en place, raconte-t-il. Une saisie assez inédite dans des box à l'entrée du village, où on a saisi l'équivalent de 200 kilogrammes de drogue de synthèse. C'est l'équivalent de 11 millions d'euros."

Quelque 190 gendarmes et douaniers découvrent alors cette drogue dans des box, à l'entrée du village. "C'est un endroit où je passe tous les matins, tous les soirs, quand je vais à la mairie à pied, où tous les habitants passent au moins une fois, poursuit l'édile. C'est un box que les habitants louent pour stocker des meubles, garer leur voiture... Ça se faisait à la vue de tout le monde et personne ne voyait rien."

Un village "très calme"

C'est là que ce maire de 37 ans comprend que son village est depuis deux ans ce qu'il appelle une "plateforme Amazon" du puissant cartel mexicain Sinaloa. "Dans ces box, l'un permettait d'acheminer la marchandise qui venait de Chine, donc la matière première brute chimique et la matière première pour la transformation, explique-t-il. Ça partait dans une autre commune pour aller en laboratoire dans une villa de l'arrière-pays. Et ensuite, ça revenait dans le deuxième box, qui contenait de la matière prête à être vendue et commercialisée de manière illégale."

Après cette saisie, une quinzaine d'interpellations et la surprise des habitants de ce petit village de Provence devenu point stratégique. "C'est un village qui est très calme, labellisé récemment 'commune touristique', qui vit sa vie, poursuit le maire. Il est à cinq kilomètres de l'autoroute de l'axe reliant Marseille à Nice."

"Forcément, cet axe autoroutier est intéressant pour les narcotrafiquants : il est stratégique. On a fait les frais de cette installation par rapport à notre position."

Jérémy Giuliano, maire du Val

à franceinfo

Jérémy Giuliano pensait son village trop reculé pour les narcotrafiquants. Il dit maintenant craindre de nouvelles installations. "Pour moi, c'est l'étape 1, mais si ce type de réseau s'installe dans des lieux reculés et qui ont une très grande discrétion, ces réseaux peuvent s'implanter et là, on peut avoir toute une faune autour et qui va nous poser des questions, déplore l'édile. Ce qui m'interpelle, c'est qu'aujourd'hui ce type d'installation peut se passer dans des petites communes là où c'était le cas dans les grosses communes." Et ce maire, qui compte se représenter, attend que plus de pouvoir soit confié à sa police municipale pour lutter contre le narcotrafic.