Entre la Russie et la Chine, une alliance très stratégique qui penche nettement en faveur de Pékin
Les deux hommes ne cessent de mettre en scène la proximité de leurs deux pays. Depuis son arrivée en Chine, dimanche 31 août, pour un sommet régional, Vladimir Poutine s'est affiché plusieurs fois, tout sourire, aux côtés de Xi Jinping. Mardi, le président russe et son homologue chinois se sont retrouvés en tête-à-tête à Pékin, le chef du Kremlin saluant le "niveau sans précédent" des relations entre les deux pays, son hôte célébrant la relation de "collaboration stratégique complète" entre les deux nations.
Rien d'étonnant, donc, à ce que le président russe soit l'invité d'honneur, tout comme le dictateur nord-coréen Kim Jong-un, de Xi Jinping à l'occasion d'une parade militaire à Pékin mercredi 3 septembre, célébrant le 80e anniversaire de la défaite du Japon et la fin de la Seconde Guerre mondiale. La mise en scène symbolise le rapprochement spectaculaire des deux pays : depuis l'arrivée au pouvoir du dirigeant chinois en 2013, celui-ci a rencontré Vladimir Poutine plus d'une quarantaine de fois, selon le décompte de NBC News. L'époque où les deux puissances se regardaient avec méfiance semble révolue.
Les Etats-Unis comme ennemi commun
En un peu plus d'une décennie, "la Chine et la Russie ont largement développé leurs relations bilatérales et ont même mis en place une alliance informelle, même si elle n'est pas inscrite dans un traité", décrypte Alicja Bachulska, experte de la Chine au European Council on Foreign Relations.
Un ennemi commun apparaît comme principal responsable de ce rapprochement : les Etats-Unis. "La rivalité avec les Etats-Unis et la volonté du monde occidental de faire changer les régimes dans les deux pays est vue comme une menace existentielle par Moscou et Pékin", détaille Alicja Bachulska. Cette alliance est aussi le résultat "de la stratégie d'endiguement de la Chine" décidée par Washington dans les années 2010, ajoute Jie Yu, chercheuse au Royal Institute of International Affairs : "Pékin estime que ses relations avec Moscou pourraient bien apporter une solution nécessaire (bien qu'imparfaite) à la politique américaine, tant sur le plan économique que diplomatique."
Un soutien à l'économie russe sous sanctions
Ce partenariat "sans limite" a ainsi permis à la Russie d'éviter l'isolement sur la scène internationale depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022, Pékin allant jusqu'à fournir de l'équipement à Moscou, sans pour autant soutenir ouvertement les objectifs du Kremlin. "La Chine souhaite voir durer le conflit en Ukraine, car cela sert ses intérêts", avance Alicja Bachulska : outre un "affaiblissement de l'Otan et de l'UE", elle permet au pays de tirer des leçons utiles pour préparer une hypothétique invasion de Taïwan.
Sur le plan militaire, Pékin s'est tout de même gardé de soutenir totalement les velléités de Vladimir Poutine. Soucieuse de ne pas trop dégrader sa relation avec l'Union européenne (UE), la Chine "a adopté une position ambiguë" en ne reconnaissant pas l'annexion russe de la Crimée, résume ainsi l'ancien diplomate et spécialiste Pierre Andrieu dans un article de la revue Le Grand Continent.
Le soutien chinois depuis 2022 a surtout permis à l'économie russe de survivre après l'imposition de sanctions occidentales. Les deux pays ont multiplié les partenariats économiques et énergétiques, un sujet de discorde régulier entre l'UE et les autorités chinoises. Reste que "si la Russie est devenue une destination pour de nombreux produits manufacturés haut de gamme chinois, tels que les véhicules électriques, et que le commerce bilatéral a connu une croissance exponentielle", la relation économique est "largement asymétrique", souligne Jie Yu.
La Russie est devenue le "partenaire junior" de la Chine
En quelques années, Pékin est ainsi devenu le principal partenaire commercial de Moscou – en 2023, la Chine représentait 53% des importations russes et 32,7% des exportations, selon les chiffres officiels compilés par l'Observatoire de la complexité économique. A l'inverse, la Russie ne comptait que pour 6,03% des importations chinoises et 3,23% de ses exportations, bien moins que les échanges avec les Etats-Unis ou l'UE. Même si le pays de Vladimir Poutine est devenu stratégique en matière d'approvisionnement énergétique : "En 2023, la Russie a ainsi dépassé l'Arabie saoudite en tant que premier fournisseur de pétrole de la Chine", note Jie Yu.
La dynamique de la relation russo-chinoise s'est inversée. Il est loin le temps où le "grand frère" soviétique donnait des leçons aux dirigeants communistes chinois : le PIB par habitant de la Chine a dépassé celui de la Russie en 2020. En 2023, des spécialistes britanniques estimaient même, dans un article publié sur le site The Conversation, que la Russie était devenue "un partenaire junior" de la Chine. "Les dirigeants russes comptaient sur une coopération beaucoup plus étroite, sur des prêts ou des investissements", explique ainsi au Monde l'économiste russe Vladislav Inozemtsev, qui souligne "un rappel à la réalité" du leadership russe.
La politique de Trump renforce le lien sino-russe
Même avec les inconforts qu'elle peut provoquer, cette alliance sino-russe semble partie pour perdurer. En premier lieu parce que réalité géographique s'impose aux deux nations. "Avec une frontière commune de 4 200 km, Pékin doit de toute façon gérer ses liens avec son plus grand voisin nucléaire", résume Jie Yu. Un autre élément renforce le lien entre les deux pays : la guerre commerciale menée par les Etats-Unis et "l'incohérence" des positions de Donald Trump vis-à-vis de la Russie et de l'Ukraine, avance Pierre Andrieu. "Cette dynamique devrait perdurer tant que chaque partie aura besoin de l’autre pour faire face aux défis communs", résume le spécialiste.
L'évolution des relations entre Pékin et Moscou infusent même dans la société des deux pays. Alors que seuls 20% des Russes considéraient la Chine comme une nation amicale en 2006, ce chiffre était de 65% en 2024, selon un sondage du Centre Levada publié en décembre dernier. "Cela montre que la méfiance globale entre les deux pays est en baisse", souligne Alicja Bachulska.