Après quinze mois de guerre avec Israël, le Hamas veut prouver qu'il détient toujours le pouvoir à Gaza
Il est toujours à la manœuvre. Le Hamas a libéré quatre otages israéliennes, samedi 25 janvier, près d'une semaine après le début de la trêve dans la bande de Gaza. Ce sont des combattants des brigades al-Qassam, la branche armée du groupe islamiste palestinien, qui ont remis les détenues à la Croix-Rouge, comme il y a une semaine, pour la libération de trois femmes. L'opération, prévue dans le cadre de l'accord avec Tel-Aviv, est aussi l'occasion pour le Hamas de montrer qu'il est encore bien présent dans l'enclave palestinienne.
Durant quinze mois, les combattants du groupe islamiste palestinien se sont retranchés dans leur tentaculaire réseau de tunnels, dans le but d'échapper à l'armée israélienne. Mais dès les premières heures de la trêve, dimanche 19 janvier, ils sont réapparus dans les rues de Gaza. A Deir al-Balah et Khan Younès, ils ont défilé dans des voitures, au milieu des civils célébrant le cessez-le-feu. "On ne s'y attendait pas. Ils avaient de nouveaux véhicules et de nouveaux vêtements, comme s'ils vivaient dans des hôtels et pas des tunnels", s'est étonné un habitant, interrogé par la radio canadienne CBC News.
"Le Hamas se régénère"
La libération des otages a été une autre occasion pour le Hamas de montrer les forces dont il dispose encore. Dimanche 19 janvier, des dizaines de combattants des brigades al-Qassam, visage masqué et bandeau vert au front, ont escorté les véhicules de la Croix-Rouge venus chercher les trois premières Israéliennes relâchées. Une mise en scène de nouveau organisée samedi 25 janvier, le Hamas ayant même choisi de faire monter les quatre soldates libérées sur une estrade, vêtues d'habits militaires. "Le lieu choisi n'est pas anodin : en plein cœur de la ville de Gaza, dans le Nord, là où l'offensive a été la plus dure", remarque Thomas Vescovi, chercheur et auteur de plusieurs ouvrages sur les territoires palestiniens occupés. La "mise en scène" visait à donner "l'image d'une organisation résiliente, loin de la capitulation", poursuit l'historien.
Le déploiement de force est, avant tout, une opération de communication. Après quinze mois de conflit, l'assassinat de son chef Ismaïl Haniyeh et la mort de son leader à Gaza Yahya Sinouar, "le Hamas est amoindri", constate Thomas Vescovi. Un général israélien a affirmé, mardi 21 janvier, que son armée avait tué "20 000 agents" du mouvement palestinien depuis le début de la guerre à Gaza. "La majorité de la direction de l'organisation a été tuée", a insisté le militaire.

Le groupe islamiste n'a pas été éradiqué pour autant. Mi-janvier, l'ex-secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a assuré que "le Hamas a recruté presque autant de nouveaux militants qu'il en a perdus" depuis les attaques du 7-Octobre. Le groupe islamiste "se régénère", décrypte Leila Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherches et d'études politiques. "Plus les Gazaouis meurent sous les bombes, plus les jeunes Palestiniens en âge de combattre sont prêts à le faire."
Comme l'explique Associated Press, le Hamas est d'autant plus difficile à évincer qu'il ne s'agit pas seulement d'un groupe armé soutenu par l'Iran. C'est aussi un mouvement politique, au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007. Il y a établi "une structure quasi étatique avec des ministères, un service de presse et tout ce qu'il faut pour gérer la population", détaillait Thomas Vescovi à franceinfo au début du conflit.
"Ils ont toujours été là, mais sans uniforme"
Avec le cessez-le-feu, le Hamas a repris une forme de gouvernance dans la bande de Gaza. Lundi 20 janvier, il a annoncé qu'il coordonnerait la distribution d'aide humanitaire, enfin acheminée dans le territoire soumis à un blocus quasi total. Selon Reuters, les fonctionnaires du mouvement palestinien ont aussi commencé à déblayer les gravats dans les villes dévastées par les frappes israéliennes ou à réparer les canalisations d'eau endommagées. "Nous avons actuellement 18 000 employés qui travaillent quotidiennement au rétablissement des services de bases pour les civils", s'est félicité Ismaïl al-Thawabta, porte-parole du gouvernement gazaoui.
Dans le même temps, la police du Hamas a de nouveau été déployée à travers l'enclave. "Nous voulons éviter toute vacance du pouvoir sécuritaire", a justifié Ismaïl al-Thawabta auprès de Reuters, affirmant que 700 membres des forces de l'ordre avaient été mobilisés pour protéger les convois humanitaires.

S'il est difficile d'évaluer l'état de ses forces, le Hamas n'a jamais vraiment disparu. "La police a toujours été là, mais sans uniforme", raconte un Gazaoui à Associated Press. "Ils étaient parmi les déplacés, dans les tentes, et c'est pour ça qu'il n'y avait pas de vols." D'autres habitants ont assuré à l'agence de presse que la police avait installé ses bureaux dans les hôpitaux, continuant d'y enregistrer les plaintes durant les combats.
Montrer sa force pour tenter de garantir sa survie
"Lorsque la situation sécuritaire s'était dégradée dans le sud de Gaza, avec de multiples émeutes et attaques de convois par des gangs, c'est aussi le Hamas qui a envoyé ses hommes pour rétablir un semblant d'ordre", relève Thomas Vescovi. Tout au long du conflit, "à chaque fois que l'armée israélienne se retirait d'une zone, une forme de semi-autorité [du groupe islamiste] revenait", poursuit l'historien.
"Le Hamas est toujours là parce qu'il remplit un vide : c'est, à ce jour, la seule force capable d'assurer forme d'autorité, de gestion sécuritaire dans la bande de Gaza."
Thomas Vescovi, historienà franceinfo
L'objectif de cette démonstration de force n'est pas seulement d'infliger un revers à Tel-Aviv. Le Hamas joue aussi sa survie dans ce cessez-le-feu. Car le gouvernement israélien n'a pas abandonné son principal objectif de guerre : "écraser" le groupe palestinien. A la veille du début de la trêve, Benyamin Nétanyahou a même déclaré que son pays "se réservait le droit de reprendre" le conflit à tout moment "avec le soutien des Etats-Unis".
Alors que Tel-Aviv doit entamer de nouvelles négociations avec le Hamas sur une "phase 2" incluant une fin définitive des combats, la question de l'après-guerre se pose déjà. Israël exclut tout gouvernement mené par le mouvement islamiste. Mais en montrant qu'il reste incontournable dans l'enclave, le Hamas espère "pouvoir faire partie de la future gouvernance de Gaza, d'une manière ou d'une autre", souligne David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques, auprès de franceinfo.

"Il y a une réalité sociale et politique : tant qu'il bénéficie d'un certain soutien dans la population, de relais à l'étranger comme le Qatar et la Turquie, d'une capacité à gérer le territoire, on ne peut pas remplacer le Hamas comme ça", abonde Thomas Vescovi. Une force que le groupe islamiste s'efforce de montrer, voire d'exagérer, alors que doit se décider l'avenir de Gaza. Comme le résume l'historien, "le Hamas ne peut plus diriger seul, mais il est compliqué de faire sans lui".