Volodymyr Zelensky (1/5) : les liens avec la Russie

« Je promets solennellement, devant mes camarades, de chérir ma patrie, de vivre comme l’entend le grand Lénine et comme nous l’apprend le parti communiste" : ce serment des petits Pionniers soviétiques, indissociables du système éducatif de l’URSS, Volodymyr Zelensky, lui aussi, le prononce. En 1988. Entrer dans l’organisation, qui voue un culte aux héros de la révolution et vante la discipline collective, n’est pas obligatoire. Mais fortement recommandé.

C’est l’année de ses dix ans. Il fredonne I Lenin Takoy Molodoy (et Lénine ne vieillit pas) dans les rues grises de "Kryvyï Righ" (la corne tordue, "Krivoï Rog" en russe), en république soviétique d’Ukraine. Le décor de son enfance est fait de hauts fourneaux et de carrières d’où l’on extrait la moitié du minerai de fer produit en URSS.

Il suit les événements de 1991 depuis l’appartement familial, au 12e étage de La Fourmilière, un ensemble d’immeubles typiquement soviétiques. Mais juste avant leurs 14 ans, le jeune Voda et ses copains enlèvent définitivement leur foulard rouge de bons petits communistes : Kiev, à son tour, se sépare de Moscou.

L’indépendance fait plonger l’économie. C’est le temps des magasins vides, des coupures de courant et des salaires payés en pneus ou en bouteilles de shampooing dans une ville tombée sous la coupe des "bigouny", des bandes d’adolescents armés. L’époque, aussi, où des aventuriers, que l’on appellera "oligarques", s’enrichissent en profitant des privatisations.

Humour et divertissement : à l’assaut du marché russe

Une seule industrie résiste au chaos : celle du divertissement. À 20 ans, Zelensky, avec sa bande de "Kryvyï Righ" qui monte déjà des spectacles, part à l’assaut du marché russe, beaucoup plus lucratif. Il s’installe à Moscou et y ouvre une filiale de sa société de production.

La rampe de lancement du groupe ? KVN, une sorte de concours géant de stand up humoristique, en direct et en public, ultra-populaire dans l’espace post-soviétique. Son équipe, du nom de son quartier d’origine, "Kvartal 95", est systématiquement en tête du palmarès. Argent, notoriété… Ils ont tout. Jusqu’à ce que Vladimir Poutine s’installe au Kremlin. Très vite, les jeunes Ukrainiens ne se sentent plus les bienvenus en Russie. En 2003, Zelensky rentre chez lui. L’année suivante, en 2004, il passe à côté de la révolution orange qui renverse pourtant le président Ianoukovitch, pantin de Poutine.

L’annexion de la Crimée, une première claque

Il se réveille 10 ans plus tard, en 2014, quand la Russie annexe la Crimée, là où il passait ses vacances enfant, là où il possède une résidence secondaire. Et cette fois, il tape du poing sur la table en s’invitant au journal télévisé, sur la chaîne qui diffuse ses spectacles, 1+1. Air juvénile et tee-shirt à l’effigie de Mohammed Ali.

"Je mets les pieds dans le plat, et cette fois je suis sérieux.  Cher Vladimir Vladimirovitch, je ne vous permets pas d’évoquer une seconde l’idée d’une guerre. La Russie et l’Ukraine sont des peuples frères.  Je suis prêt à me mettre à genoux devant vous, mais pitié… Vous, ne mettez pas notre peuple à genoux ! Je voudrais aussi m’adresser à notre gouvernement. Si les habitants de l’Est et de la Crimée veulent parler russe, lâchez-leur les baskets, et laissez-leur le droit de parler russe. La langue ne divisera jamais notre pays".

@france.tv « Je vous en conjure, ne tentez pas de soumettre notre peuple. » En 2014, après la répression violente des manifestations pro-européennes sur la place Maïdan à Kiev, Volodymyr Zelensky, encore simple civil, s’adressait à Vladimir Poutine à la télévision. 👉 Retrouvez la série-documentaire « Zelensky, le prix de la résistance » sur notre plateforme france.tv (lien en bio 📌) Filmé au cours de plusieurs voyages en Ukraine, cette série-documentaire offre un accès rare au président Zelensky lui-même et à la Première dame, Olena Zelenska. Ils s’expriment tous les deux sur leur rencontre, leur première vie d’artistes, l’entrée en politique et les conséquences de l'invasion de l'Ukraine. #Ukraine#Zelensky #onregardequoi #SinformerSurTikTok ♬ son original - France.tv

Quelques semaines plus tard, toujours en 2014, c’est dans un sketch qu’il se paie le président russe. "Vladimir Vladimirovitch a prononcé une phrase que j’ai bien gardée en tête : 'Kyiv est la mère des villes russes'. J’ai donc une question à poser aux Russes : Mes enfants, pourquoi toutes ces méchancetés sur votre maman au journal télévisé ? Votre petite maman est indépendante. Peut-être même qu’elle a un prétendant européen et riche ! Toi, Russie, ma fille, quand tu t’es mise avec Poutine, Maman n’a rien dit alors qu’elle aurait dû te donner une bonne fessée… Alors arrête d’entuber ta mère !"

Malgré ses critiques de plus en plus vives, Zelensky continue à toucher de confortables revenus en provenance de Russie, grâce à sa société de production. Ce n’est qu’en 2019 qu’il fait le ménage, lorsqu’il se présente à l’élection présidentielle. La pression est forte, notamment du côté de son adversaire, Petro Porochenko, qui l’interpelle lors du débat du second tour : "Monsieur Volodymyr, arrêtez de vous moquer de notre pays ! Vous êtes allé chercher de l’argent jusqu’en Russie pour réaliser vos films. Et vous n’auriez jamais dû vous agenouiller devant Poutine". Face aux ambiguïtés du jeune candidat, le président sortant incarne alors la "vraie" ligne anti-russe en Ukraine. Sa prophétie : Zelensky sera "un chef d’État faible, incapable de résister aux attaques de Poutine". Il ne sait pas alors à quel point l’histoire va lui donner tort.

Une seule rencontre avec Poutine

Zelensky, élu, n’a pas immédiatement droit aux félicitations de Vladimir Poutine. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, explique que le président russe attendra quelques jours, histoire de voir "si Zelensky améliore ses relations avec la Russie et progresse dans le règlement du conflit avec les séparatistes pro russes de l’est de l’Ukraine". Leur relation est déjà marquée par une distance méfiante.

Les deux hommes ne se sont rencontrés qu’une seule fois, en décembre 2019 à l’Élysée, autour d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel sur la question du Donbass occupé par la Russie. Le président français et la chancelière allemande cherchent alors à relancer le Format Normandie. C’est l’époque où le chef de l’État explique qu’il faut "parler" à Poutine, ne pas couper les ponts.

Bilan ? Neuf heures de discussions à quatre, zéro résultat ("Nous avons des divergences complètes sur la frontière", explique Zelensky) mais une anecdote révélatrice : au moment du tour de table, le jeune dirigeant ukrainien oublie de se tourner vers les flashs. "Les photographes, c’est par là", lui dit Poutine un brin condescendant, du haut de ses 20 ans de pouvoir. 

C’était il y a 6 ans. Malgré ses offres répétées de rencontre pour discuter d’un cessez-le-feu, notamment en mai 2025 en Turquie, Volodymyr Zelensky n’a, depuis, jamais recroisé le regard du chef du Kremlin.