Retraites : cette réforme maudite qui a provoqué crises et soubresauts
Point de crispation dans l’opinion comme dans la classe politique, le texte contesté ne cesse d’empoisonner la vie des macronistes depuis son adoption au forceps en 2023.
Passer la publicité Passer la publicitéC’était l’as dans la manche du camp présidentiel. Pendant que Sébastien Lecornu poursuivait mardi soir ses «ultimes négociations» pour arracher un accord, sa prédécesseure Élisabeth Borne a fait un pas de géant vers une «suspension» de la réforme des retraites. «Il faut savoir écouter et bouger», a avancé la ministre démissionnaire de l’Éducation nationale dans un entretien au Parisien. La voilà donc prête à rétropédaler sur le texte tant décrié qu’elle avait porté et fait adopter dans la douleur en 2023.
Une volte-face solitaire et non concertée avec l’Élysée, assure l’entourage du chef de l’État. Mais il n’en fallait pas plus pour rouvrir le psychodrame des retraites dans l’ex-majorité présidentielle. À la sortie de son rendez-vous mardi soir avec Sébastien Lecornu, Raphaël Glucksmann a même laissé entendre que Matignon n’excluait pas totalement des bougés - le premier ministre démissionnaire s’y est pourtant toujours opposé. La goutte de trop pour certains macronistes, qui voient l’un de leurs totems, intouchable jusqu’ici, sur le point d’être sacrifié sur l’autel de la gauche.
Passer la publicité«Est-ce à nous de dilapider notre propre héritage ?», a tout de suite répliqué Maud Bregeon sur la boucle Telegram des députés, comme révélé par Le Figaro. Au milieu des messages de ses collègues incitant à la «nuance» et au «compromis», l’ex-ministre Olivia Grégoire s’est à son tour agacée : «C’est quand même fou. On se voit, on se parle le matin. Du moins, on a l’impression. Et le soir, on découvre... qu’on a proposé de suspendre notre réforme des retraites.»
Une grogne qui s’est propagée jusque dans le groupe des anciens députés, sur lequel Olivier Dussopt a adressé mercredi matin une mise en garde. «Je ne crois pas qu’un compromis se construise sur un déni comptable économique et démocratique. Sauf à accepter que le système s’effondre», a alerté l’ex-ministre du Travail et artisan du texte, qui a gardé, de son aveu, «quelques stigmates» du marathon des retraites.
Une réforme maudite
Il faut dire que cette réforme maudite, qui a repoussé l’âge de départ à la retraite à 64 ans, ne cesse d’empoisonner la vie des macronistes. À l’époque déjà, le texte avait soumis à rudes épreuves les troupes présidentielles, privées de majorité absolue à l’Assemblée nationale. L’aile gauche de Renaissance et leurs alliés du MoDem n’avaient pas hésité à exprimer leurs doutes sur la réforme très impopulaire d’Élisabeth Borne, alors que le front syndical maintenait depuis des semaines la pression sur l’exécutif.
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Même Édouard Philippe avait laissé la liberté de vote à sa trentaine de parlementaires, certains faisant entendre leurs réserves. Fragilisé dans son propre camp, le gouvernement avait jusqu’au bout tenté de sanctuariser les voix des Républicains. Sauf que des incertitudes demeuraient à droite sur le soutien d’au moins une dizaine de députés, en plus de l’opposition frontale de l’élu du Lot, Aurélien Pradié (désormais ex-LR). Comme un aveu d’échec, Élisabeth Borne avait fini par passer en force avec l’article 49.3, lui permettant d’éviter un scrutin à haut risque. Quitte à accroître le malaise dans ses rangs et, plus encore, la colère des oppositions.
Depuis, le dossier explosif revient comme un boomerang. Remis à l’agenda de temps à autre par des propositions d’abrogation, portées par la gauche ou le Rassemblement national. Ces derniers mois, la réforme est même devenue une monnaie d’échange avec les socialistes, qui ont fait de son annulation l’une de leurs conditions pour ne pas censurer. Après la chute de Michel Barnier, François Bayrou a bien tenté de les amadouer avec son «conclave» sur les retraites, redonnant la main aux partenaires sociaux pour trouver de possibles ajustements. Mais les discussions ont finalement tourné court au bout de six mois.
Passer la publicitéL’échec de la réforme du système à points
Un accord entre le patronat et les syndicats n’aurait sans doute pas renversé la table. Emmanuel Macron a toujours verrouillé la porte d’un détricotage de son grand chantier social, dont il a fait un marqueur de son second mandat. Il faut dire que sa première tentative de réforme, plus ambitieuse car vraie réforme structurelle et non simple ajustement paramétrique, s’était soldée par un échec. Alors candidat, l’ex-ministre de l’Économie de François Hollande avait promis en 2017 de bâtir un système universel par points «plus juste et plus équitable», où «un euro cotisé garantit à tous les mêmes droits». Sans cesse repoussé, le projet est finalement dévoilé deux ans plus tard et comprend notamment l’instauration d’un «âge pivot» fixé à 64 ans. Une mesure d’incitation qui déclenche aussitôt la fronde des syndicats et des oppositions.
C’est finalement la crise du Covid-19 qui aura raison du texte, suspendu après avoir été adopté en première lecture à l’Assemblée. Le chef de l’État repousse encore le dossier jusqu’à l’élection présidentielle de 2022, où il défend cette fois une réforme paramétrique du système repoussant l’âge de départ à 65 ans - finalement abaissé à 64 ans au terme de négociations avec les partenaires sociaux. Loin du big-bang promis par le candidat Macron. «Je l’ai soutenue (la réforme de 2023, ndlr), parce qu’elle était mieux que rien, mais reconnaissons que son niveau d’ambition était dégradé par rapport au projet que nous avons porté en 2019-2020», reconnaît même en privé Édouard Philippe, qui avait présenté le premier projet de réforme.