Trois amies - À voir
Romance d'Emmanuel Mouret, 1h57
Elles sont trois. Elles habitent Lyon. La quarantaine leur va bien. Joan (India Hair) a un souci. Elle s'est lassée de son compagnon et elle trouve honnête de l'en informer. Cela l'embête vraiment. C'est une fille qui a des principes. Sa copine Alice (Camille Cottin) lui remonte le moral : de son côté, elle n'a jamais été amoureuse d'Éric (Grégoire Ludig) et cela n'empêche pas leur relation d'être assez harmonieuse. Il y a aussi la tonique Rebecca (Sara Forestier), qui a des rendez-vous secrets avec un homme marié. On voit qu'il est permis de badiner avec les intermittences du cœur. Mouret ne s'en prive pas. L'amour s'en va, la tendresse revient. Voilà l'équation à résoudre. Le désir, lui, est toujours le premier à partir. C'est comme ça. On l'apprend à ses dépens, avec désolation au début, puis avec un sourire ensuite. Un accident de voiture mettra une dose de gravité dans ces chassés-croisés. Ils sont nombreux et inattendus. Le scénario s'offre de multiples triples axels et retombe à chaque fois sur ses pieds. Mouret est un virtuose. Les sentiments avec leurs aléas sont sa cour de récréation. Il y a les choses qu'on dit, et celles qu'on n'ose pas faire. Trois amies ressemble à de la très fine dentelle. Mouret est un auteur, un vrai. Bientôt, c'est lui qui servira d'exemple. É.N.
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The substance - On peut voir
Horreur de Coralie Fargeat, 2h20
Elizabeth Sparkle vient d'apprendre par mégarde que la chaîne envisage de la remplacer. Son émission de fitness exige une nouvelle figure de proue. Pourtant, la cinquantaine lui allait bien. Dans son body moulant, très Jane Fonda, l'énergique présentatrice conserve de l'allure. La loi de l'audimat est cruelle. Son producteur l'invite à déjeuner pour lui annoncer le changement. Le repas la déboussole tellement qu'elle a un accident de voiture. Son passage à l'hôpital lui permet de découvrir une technique confidentielle dont le but est de rajeunir, d'être soi-même en mieux. L'offre est trop tentante. Liz va donc essayer la substance. Des injections donnent naissance à une demoiselle brune comme elle, à peine sortie de l'adolescence. Demi Moore contemple son double Margaret Qualley avec méfiance et admiration. La méthode a ses contraintes. Au bout de sept jours, les rôles s'inversent. Cela implique de rester dans la salle de bains une semaine sur deux. Naturellement, le miracle va dérailler. Liz extrait la vieillesse de son corps avec d'effarantes grimaces, se nourrit d'épais liquides en perfusion. Comment peindre une telle folie? Coralie Fargeat, qui s'était déjà illustrée dans le brutal avec Revenge, repousse les limites du grand-guignol avec un élan assez communicatif. Elle ne lésine pas sur l'audace et l'hémoglobine. Elles coulent à flots. De prestigieux fantômes rôdent autour de cette histoire de possession où se récapitulent la détresse d'un Golum, les monstruosités de Freaks, un long couloir moquetté à la Shining. L'ensemble réjouit. É.N.
L'Ombre du commandant - On peut voir
Documentaire de Daniela Völker, 1h47
Trouver le financement d'un film est un parcours d'obstacles. La réalisatrice d'origine allemande, Daniela Völker, y est rompue. L'Ombre du commandant n'a pas fait exception. Mais dans le cas de ce documentaire consacré à la famille de l'ex-commandant d'Auschwitz, Rudolf Höss (exécuté par pendaison le 16 septembre 1947), et à celle d'Anita Lasker-Wallfisch, rescapée du camp d'extermination, l'argument principal qu'on lui a opposé tenait à l'âge des protagonistes « tous très vieux ». Certes. Mais comment voulez-vous qu'à la veille de commémorer les 80 ans de la libération d'Auschwitz-Birkenau par l'Armée rouge, le 27 janvier 1945, les témoins « ne soient pas très âgés », leur a rétorqué Daniela Völker qui a donc commencé à tourner avec ses économies. Une chance finalement. Car, le temps long (2020-2023), a servi le film. Si la réalisatrice a décidé dès l'origine de mener les deux histoires en parallèle, celle de Hans Jürgen et de Kai Höss, respectivement fils et petit-fils du criminel de guerre, et celle de la survivante et de sa fille Maya, née après la guerre, elle ne pouvait imaginer que dans « un procédé organique », les deux parcours se rapprocheraient. Au point qu'Anita accepte de recevoir les Höss chez elle dans son petit pavillon londonien. « Un moment historique », admet Anita Lasker-Wallfisch. I.S.
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À toute allure - On peut voir
Comédie de Lucas Bernard, 1h26
Il y a du Philippe de Broca dans À toute allure : un rythme survolté, une insouciance burlesque, un mépris assumé pour la vraisemblance des situations. Et un humour à fleur de répliques. Cette comédie romantique parfaitement troussée a même quelque chose d'une joie enfantine qui pétille à chaque plan, et ça fait du bien. L'intrigue d'À toute allure s'apparente à la plus improbable des confrontations romanesques. De violentes bourrasques clouent à terre Marco, steward d'une compagnie aérienne en escale. Pio Marmaï, décidément très à l'aise dans ce registre léger, compose un chef de cabine aussi séducteur que badin. Sorte de Bébel 2.0 échappé d'une mise à jour de L'Homme de Rio, il croise Marianne (Eye Haïdara, fulgurante de charme farouche) dans un bar d'officier. Il y a de l'électricité dans l'air. Entre le steward et l'officier de marine, les œillades envoient des éclairs. Tout les oppose et pourtant le courant passe entre eux. Une pulsion irraisonnée le pousse pourtant à suivre celle qui a perdu son collier dans la bagarre. Pour cela, il s'incruste dans le compartiment des torpilles nucléaires du submersible, devenant ainsi le passager clandestin d'un bâtiment en pleine opération secrète… Dialogues débités à la mitraillette, badinage contrarié pétri d'humour, confinement extravagant, cette épopée rocambolesque fonctionne à merveille grâce au duo entre Eye Haïdara et Pio Marmaï : plus elle se rigidifie, plus il s'assouplit. O.D.
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Voyage à Gaza - À éviter
Documentaire de Piero Usberti, 1h07
Ces images ont été tournées avant le 7 Octobre, avant que l'enfer ne s'abatte sur Israël et la bande de Gaza. Le réalisateur le spécifie par un carton, à la fin de ce film destiné à illustrer la détresse de la population de l'enclave palestinienne. Piero Usberti, un jeune cinéaste franco-italien, a eu l'opportunité d'y passer trois mois, en 2018. Ce qu'il y a vu l'a profondément marqué. Il a observé le quotidien marqué par les coupures d'électricité et la crainte des heurts avec Israël, l'impossibilité de voyager, la pression islamiste du Hamas. Mais pour arriver jusqu'à ce portrait de Gazaouis, il faut en passer par un préambule pour le moins gênant. Piero Usberti, avec une candeur de militant, y embrasse certaines thèses antisionistes, faisant fi de la complexe histoire israélo-palestinienne. « Israël est une des entreprises coloniales les mieux réussies au monde », assure, sans crainte, la voix off. Celle-ci compare ensuite l'État hébreu à l'Amérique qui a sauvagement fait disparaître ses populations autochtones… Ces déclarations, qui ôtent en trois formules toute légitimité à l'existence du pays, témoignent d'une étonnante absence de connaissances historiques. Peut-être faut-il y voir - dans le meilleur des cas - la conséquence de la commisération ressentie par le jeune homme à la vue des Palestiniens pris au piège de Gaza. Le réalisateur s'improvise redresseur de torts, et tient mal les comptes. Cette partialité finit par donner au film des apparences de tract politique, quand il aurait pu simplement constituer un témoignage rare, poignant, et audible de tous côtés, sur la détresse de Gaza. B.P.
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