« Dans le Languedoc, on est les parias de l'agriculture »: à Narbonne, les viticulteurs s’estiment oubliés
«Vous voyez les trois gars là, devant moi ? Il ne se paie plus depuis des semaines. Il n'y a rien qui rentre.» En ce vendredi soir, Didier, viticulteur retraité depuis un an, est posté devant un camion lituanien renversé, autour duquel s'activent une dizaine de pompiers pour éteindre les dernières flammes. Après une journée de mobilisation sur l'A9 à Narbonne, il va rentrer chez lui à Lézignan avec ses collègues. S'il a suivi distraitement les annonces de Gabriel Attal sur les téléphones de ses voisins et a bien entendu la promesse «d'un plan spécifique» pour la viticulture, Didier ne croit plus vraiment au sursaut. «J'ai croisé un type sur le barrage que je n'avais pas revu depuis des années, il a 80 ans. Quand on était jeunes, on faisait des manifestations ensemble. En fait, on se bat pour la même chose depuis trente ans… »
Dans l'Aude, terre historique de révolte des agriculteurs, le 19 janvier, une explosion a soufflé le bâtiment de la direction régionale de l'environnement de Carcassonne. Ce vendredi, c'est la Mutuelle sociale agricole de Narbonne qui est partie en flammes, le rayon vin de Carrefour a, lui, été saccagé (toutes les bouteilles espagnoles fracassées au sol). Si le président du syndicat des vignerons de l'Aude, Frédéric Rouanet, n'a cessé d'appeler au calme toute la journée, redoutant d'être associé à des actions violentes, il n'a pas pu empêcher quelques débordements. «Certains d'entre nous n'ont plus rien à perdre», estime Christophe, jeune vigneron, installé depuis trois ans sur un domaine familial à Marcorignan.
« On continue à dire que les vins de l'Aude, c'est de la bibine »
Les viticulteurs du Languedoc, plus vaste vignoble de France, souffrent des mêmes maux que leurs collègues : concurrence européenne déloyale, augmentation des charges non répercutée sur leurs prix de vente, multiplication des contrôles, millefeuille administratif étouffant… Mais d'autres problèmes, plus spécifiques, sont évoqués : la baisse drastique de la consommation de vin (moins de 40 litres par personne par an, contre 160 litres il y a soixante ans), des épisodes de sécheresse à répétition qui hypothèquent les rendements – à Leucate, il a moins plu ces deux dernières années qu'en Jordanie – , la proximité de l'Espagne, de l'Algérie et de l'Italie, pays viticoles concurrents et un défaut de notoriété qui persiste et freine l'export. «Ici, on est les parias de l'agriculture. Certains continuent à dire que les vins de l'Aude, c'est de la bibine. Il n'y en a que pour le Bordeaux et le Bourgogne. C'était peut-être le cas à l'époque de nos parents, mais ça n'a plus rien à voir aujourd'hui. Il n'y a qu'à voir le succès de Gérard Bertrand, dont la qualité des vins est reconnue dans le monde entier», affirme un viticulteur de Cruscades, dans les Corbières.
Pour moi, manger une rondelle de saucisse au bord de la vigne a plus de valeur que de partir en voyage.
Sandrine, viticultrice à La Palme, dans les Corbières maritimes
Le ministre de l'agriculture Marc Fesneau est attendu à Montpellier le 2 février prochain pour annoncer son plan spécifique à la filière viticole. Pour Fabien Mariscal, président des Jeunes Agriculteurs de l'Aude, «sans rentrer dans le détail, on veut moins de contraintes administratives, moins de contrôles, et moins d'écologie punitive». « Aujourd'hui, on subit c'est sûr, affirme Sandrine, qui travaille en famille sur une exploitation à La Palme, une commune des Corbières maritimes. On est trois à travailler et seul mon fils peut se verser un salaire. Il a une petite de 2 ans à nourrir. Mais bon, c'est aussi notre choix. Pour moi, manger une rondelle de saucisse au bord de la vigne a plus de valeur que de partir en voyage. »