Mercato : après Cristiano Ronaldo et Karim Benzema, l’Arabie saoudite mise désormais sur les jeunes avec notamment les signatures de trois pépites françaises

L'Arabie saoudite change de cap. Depuis deux ans, les clubs de Saudi Pro League, avec leurs contrats mirobolants, sont devenus des acteurs majeurs du mercato, empilant les stars comme Neymar, Cristiano Ronaldo, Riyad Mahrez ou encore Karim Benzema... Récemment, le championnat a néanmoins emprunté un virage dans sa stratégie. Les noms ronflants sont toujours les bienvenus, à l'image des signatures de Darwin Nunez (Al-Hilal), de Théo Hernandez (Al-Hilal) ou de Joao Felix (Al-Nassr). Mais les clubs du royaume ont surpris en commençant à se pencher sur des joueurs à fort potentiel.

Ainsi, les jeunes Saïmon Bouabré - présenté comme un prospect comme Kylian Mbappé à Monaco - et Nathan Zézé, défenseur nantais des Espoirs, se sont engagés à Neom. Le vice-champion olympique Enzo Millot a lui pris la direction d'Al-Ahli en provenance de Stuttgart ce samedi 9 août. "Un championnat tout neuf qui attire des jeunes, c'est une première", confirme Jennifer Mendelewitsch, agente de joueurs. Mais comment expliquer ce changement de politique ?

"C'est une volonté fédérale, du ministère des Sports, de l'Etat, de faire en sorte que ce soit un championnat très dynamique, dans lequel les jeunes étrangers viennent pour être en concurrence avec nos jeunes Saoudiens, pose Nasser Larguet, le directeur technique national (DTN) à la Fédération d'Arabie saoudite de football (SAFF). Pour l'instant, le joueur saoudien doit élever son niveau d'exigence et de compétitivité. L'arrivée des étrangers est une bonne chose pour développer un mental de concurrence".

Horizon Mondial 2034

Plus que la Coupe du monde 2026, pour laquelle la sélection de Hervé Renard n'est pas encore qualifiée, le pays de Mohammed ben Salmane a déjà en ligne de mire la Coupe d'Asie 2027 et surtout le Mondial 2034, deux compétitions qu'il organise. Dans neuf ans à domicile, les Faucons espèrent briller en mondovision et retrouver les huitièmes de finale du tournoi planétaire, qu'ils n'ont atteint qu'en 1994.

"Ces recrutements de jeunes participent à cette ambition-là. L'objectif n'est plus seulement de faire un gros coup avec Cristiano Ronaldo, c'est aussi d'installer une ligue de très haut niveau et faire progresser les footballeurs saoudiens pour que la sélection soit compétitive", juge l'économiste Christophe Lepetit du Centre de droit et d'économie du sport (CDES) de Limoges. Deux saisons après le début de ce projet de sportwashing, dans la lignée du plan de développement étatique Vision 2030, la SAFF peut déjà se targuer de la qualification de son équipe au prochain Mondial U17, après 36 ans d'absence.

"Au départ, l'arrivée de grandes stars a servi à donner un intérêt du football saoudien. Aujourd'hui, on est dans une suite logique : on peut convaincre un jeune de venir jouer en Arabie saoudite parce qu'il a vu les performances de Cristiano Ronaldo, de Karim Benzema… Si on avait commencé par faire venir des jeunes peu connus, peut-être que la mayonnaise n’aurait pas pris."

Nasser Larguet, DTN de l'Arabie saoudite

à franceinfo: sport

Pour Nasser Larguet, qui a déjà occupé des fonctions similaires au Maroc, cette politique de recrutement des clubs saoudiens - financés par le fonds d'investissement souverain (FIP) - permet ainsi d'installer "quelque chose de durable", et de repousser l'idée d'un "feu de paille" ou d'un "mirage" saoudien. A terme, cela doit aussi offrir la possibilité aux joueurs nationaux de s'exporter hors de la péninsule. Autrement dit, réussir là où la Chine a échoué il y a une dizaine d'années.

De meilleurs arguments pour faire venir les jeunes

Il faut dire que l'Arabie saoudite a de sérieux atouts pour convaincre les pépites d'Europe et d'ailleurs… A commencer par les montants des salaires largement plus importants. "On voit des joueurs qui multiplient par dix, par vingt ou par trente leurs émoluments. Le niveau du contrat permet de faire avaler certaines choses", confie Bruno Satin, agent sportif FFF, dont l'agence a notamment vu passer le défenseur sénégalais Kalidou Koulibaly, quelques saisons avant son départ pour Al-Hilal. Une raison suffisamment attrayante pour de nombreux joueurs, surtout dans la fleur de l'âge.

"Les propositions que tu reçois en Arabie saoudite, c’est un autre monde. Quand tu passes de 3 millions d'euros par an, à une proposition de 15 millions, soit un contrat de trois ans à 45 millions net… L’école pour mes enfants, les maisons que j’ai pu acheter, tout cela c’est grâce à eux. J’ai commencé le football en gagnant 300 euros avec un contrat aspirant. Cela m’a permis de changer ma vie et de changer la vie des personnes autour de moi", soulignait d'ailleurs le Français Allan Saint-Maximin, qui a joué à Al-Ahli en 2023-24, dans l’émission "Zack en roue libre", début juillet.

Mais pour des rookies, l'attractivité du championnat saoudien tient désormais aussi à la présence de staffs et d’entraîneurs de renoms, comme Laurent Blanc (Al-Ittihad) ou Simone Inzaghi, qui a amené Al-Hilal jusqu’en quarts de finale du Mondial des clubs en éliminant Manchester City. "Ils vont aussi chercher des éducateurs, des gens qui ont construit des centres d'entraînement pour bâtir des choses de très grande qualité", développe l'économiste Christophe Lepetit pour franceinfo: sport. Un cocktail auquel Nasser Larguet précise qu'il faut ajouter des garanties de temps de jeu, critère suprême pour les jeunes.

"Ils ne perdront pas leur temps venant ici. Le plus important à leur âge, ce n'est pas seulement de développer leur technique ou l'aspect physique : il leur faut de la compétition, prêche l'ex-entraîneur intérimaire de l'OM, qui a été directeur des centres de formation de nombreux clubs de l'Hexagone (Rouen, Cannes, Caen, Strasbourg, Marseille). Ils ont la certitude d'être encadrés par de très bons coachs et d'être avec des joueurs confirmés. Ils ne peuvent que progresser", poursuit-il, rappelant que les 18 clubs locaux peuvent signer jusqu'à 10 joueurs extra-communautaires, ce qui conduit à toujours avoir "au moins 80-90 éléments de très haut niveau" dans la ligue.

"Du temps de jeu dans un championnat qui ne vaut pas grand chose, est-ce viable ? Tous ont, comme théorie, d'aller gagner un salaire faramineux quelques saisons puis de reprendre leur carrière en Europe. Mais ces joueurs seront-ils prêts à faire des sacrifices en devant payer des impôts et baisser leur salaire ? Puis quelle sera leur côte en revenant d'un championnat que personne ne suit ?"

Jennifer Mendelewitsch, agente de joueurs

à franceinfo: sport

C'est en effet le principal écueil pour de futurs grands : composer avec moins d'exposition, le championnat n’étant pas retransmis en intégralité en France, même si le streamer Zack Nani a acquis les droits d'un à trois matchs par semaine, après le non-renouvellement de Canal + comme diffuseur. Mais pas de quoi inquiéter Bruno Satin, lui aussi agent. En réalité ces signatures-là sont suffisamment médiatisées pour, qu'à travers leur départ en Arabie saoudite, on parle plus d'eux que s'ils avaient signé à Toulouse ou à Brest", estime-t-il auprès de franceinfo: sport, prenant pour exemple des profils tels Nathan Zézé ou Saïmon Brouabré, relativement peu connus du grand public mais dont les transferts à Neom ont été largement relayés.

Plus d'intérêt pour les clubs vendeurs que pour les jeunes ?

De là à se projeter à long terme dans le Golfe ? "On envisageait traditionnellement le passage en Arabie saoudite pour un dernier contrat. Cela sera peut-être un changement pérenne, mais c'est un pari risqué pour la première génération de jeunes qui va le faire", avertit Jennifer Mendelewitsch, sceptique et étonnée du nombre de jeunes pousses accepter d'y signer cet été.

C’est en tout cas l’objectif de la Saudi Pro League, même si la trajectoire du prometteur Espagnol Gabri Veiga (23 ans), reparti de Al-Ahli après deux saisons pour signer à Porto cet été, ne semble pas encore accréditer cette thèse. Nasser Larguet assure que le football saoudien a "pris conscience de l’importance de développer les infrastructures" pour que les équipes puissent continuer leur croissance.

L'Espagnol Gabri Veiga avant son départ d'Al-Ahli pour Porto, le 10 janvier 2025. (MOHAMMED SAAD / AFP)
L'Espagnol Gabri Veiga avant son départ d'Al-Ahli pour Porto, le 10 janvier 2025. (MOHAMMED SAAD / AFP)

L’intérêt pour les clubs européens de vendre leurs jeunes joueurs en Arabie saoudite semble toutefois indéniable. Particulièrement en France avec la conjoncture économique liée à la crise des droits TV. "Depuis 15 ans, le championnat assure son équilibre financier grâce à sa balance des transferts. Forcément, si vous avez un pays acheteur qui arrive sur le marché, c’est bénéfique pour des clubs dont la stratégie repose sur le trading", certifie auprès de franceinfo: sport Luc Arrondel, économiste au CNRS, qui voit même ce revirement de l'Etat pétrolier vis-à-vis des prospects comme "une bonne nouvelle pour la Ligue 1".

"Pour faire venir un joueur, les Saoudiens sont prêts à dépenser des sommes importantes. Par contre, ils sont moins regardants pour le faire partir, parce qu'ils ont besoin de la place pour d’autres étrangers, ce qui doit permettre de faire de bonnes affaires pour les clubs européens", complète Bruno Satin. A ce titre, et même s’il s’agit d’un profil expérimenté, le cas de Pierre-Emerick Aubameyang est assez parlant : arrivé pour 9 millions d’euros l’an dernier à Al-Qadsiah (selon le site spécialisé Transfermarkt), l'attaquant est reparti libre cet été à Marseille afin de libérer la place au meilleur buteur de Serie A, Mateo Retegui. Pour toutes ces raisons, l'Arabie saoudite ne semble pas prête de réduire son emprise sur les prochains mercatos.